Dans le paysage médiatique français, TV5 Monde occupe une place unique. Son actionnariat est formé de quatre pays francophones : France, Belgique, Suisse, Canada, avec une nette prépondérance française (près de 65 %). Un récent aménagement de ce paquet d’actions a permis à France Télévisions de devenir l’actionnaire majoritaire de la chaîne (49 %). À travers ses neuf antennes diversifiées, celle-ci s’adresse à 235 millions de foyers dans le monde, avec une audience hebdomadaire de l’ordre de 55 millions de téléspectateurs. Partant de ce constat, Yves Bigot, 58 ans, qui vient d’en prendre les rênes, estime que TV5 Monde constitue une formidable plate-forme pour la promotion de la francophonie sur les cinq continents.
« Nous sommes à un moment clé. Une grande partie de l’avenir de la francophonie se jouera en Afrique. C’est un grand enjeu qu’il faut relier au développement de la TNT sur le continent et saisir cette opportunité pour que le choix du français s’impose aux pays francophones, dont certains sont tentés de virer vers l’anglais. Si nous voulons nous inscrire dans l’objectif du milliard de francophones à atteindre dans les prochaines décennies, il faut que les nouvelles générations fassent le choix du français », insiste-t-il dans un entretien accordé à Afrique Asie. « Tout comme pour les différents pays et communautés concernés, la francophonie est un enjeu stratégique, politique et culturel, et pour moi un défi, un challenge intellectuel et culturel. » Un pari audacieux pour un budget modeste : 108 millions d’euros en 2013, qui ira en partie à l’installation de la haute définition (HD) à partir de septembre.
Sur le « marché de la francophonie », TV5 Monde ne sera pas seule. D’autres pays, la Chine, Israël, la Russie, etc. y ont déjà pris place ou se préparent à s’installer, donnant ainsi une tournure aiguë à la concurrence que doit affronter la chaîne. Pour Yves Bigot, cependant, la place de TV5 Monde restera particulière sur ce marché, parce que, contrairement à ses concurrents, « son rôle singulier est la promotion des valeurs de la francophonie ». « La langue c’est aussi la pensée, la culture. Dans l’espace francophone, nous avons des valeurs en commun que nous avons besoin de revendiquer : droit des femmes, des enfants, droit à l’éducation, liberté d’expression. La télévision est un vecteur moderne et puissant pour véhiculer les valeurs de la francophonie, elle doit être aussi un vecteur d’information et de culture, ce qui induit évidemment l’éducation », ajoute-t-il.
La montée de France Télévisions dans le capital de la chaîne devrait permettre davantage de synergies avec le groupe audiovisuel public français, espère le nouveau DG. Il insiste par ailleurs sur l’apport au « pot commun » des autres partenaires francophones, dont la participation aux programmes est de l’ordre de 30 %.
La chaîne généraliste, qui accueille des programmes africains, vient de lancer une nouvelle émission : « Rendez-vous au maquis », sorte de café du commerce, qui se veut un lieu de « débats décomplexés » autour de diverses thématiques africaines politiques, économiques, culturelles, sociétales, etc. « “Rendez-vous au maquis” souhaite donner une autre vision de l’Afrique, celle d’une Afrique moderne qui innove et qui, riche de sa formidable diaspora, rayonne partout dans le monde », souligne la plaquette de présentation. La première édition s’est donnée pour parrain le musicien originaire du Cameroun Manu Dibango, avec pour débat original et explosif à la fois : l’homosexualité en Afrique. Elle dessine, avec le programme musical « Acoustic », le nouveau visage de TV5 monde. « Il faut que TV5 Monde se repositionne un peu plus dans la diversité de ses programmes », plaide Yves Bigot.
Quelle sera sa place par rapport à la chaîne sœur France 24, qui porte le message français au reste du monde ? « Deux clubs différents, mais on se retrouve pour jouer ensemble en équipe nationale », tranche Yves Bigot, en filant la métaphore footballistique. « TV5 Monde a une nature généraliste et n’est pas seulement une chaîne d’information », répète-t-il.
Spécialiste du rock, auquel il a consacré plusieurs livres, Yves Bigot est un grand familier de l’audiovisuel français. Il y a débuté comme animateur à la radio privée Europe 1, avant de diriger l’unité variétés, jeux et divertissements, puis les programmes de la chaîne France 2. Il a fait un passage remarqué comme directeur des programmes de la télévision francophone belge RTBF, avant d’atterrir en 2010 à RTL, également comme directeur des programmes de la « première radio de France ». À chacune des étapes de ce parcours très riche, il a laissé le souvenir d’un professionnel rigoureux, qui, au-delà des amitiés nouées ici et là, ne marchande pas ses convictions.