Il y a cinquante ans, Hillbrow était un quartier emblématique de la Johannesburg joyeuse et cosmopolite.
Un mélange de Noirs et de Blancs et de toutes les nationalités qui, un jour ou l’autre, ont eu quelque chose à voir avec l’Afrique du Sud : Grecs, Irlandais, Hollandais, Italiens… Restaurants, dancings, cinémas, la vie nocturne était intense. Aujourd’hui, on n’y voit plus que drogue, prostitution, alcoolisme, fusillades, vols, viols, et la police est dépassée. C’est dans cette ambiance mi-luxe déchu, mi-misère installée que l’on fait connaissance avec six jeunes hommes qui partagent la même chambre, la 207, dans un de ces hôtels hors d’âge du quartier. Six destins symboliques – presque trop – de la nouvelle Afrique du Sud. Il y a D’nice, le bon élève, un utopiste désargenté qui ne sait pas résister aux attraits de la grande ville. Zulu-Boy, le « vilain petit canard » de bonne famille, est un frimeur et s’est fait arrêter plusieurs fois pour de petits délits. Il a surnommé Modishi, un colosse à la voix d’or, « Jean-le-baptiste » pour sa pureté et son honnêteté… Molamo, lui, est un ancien chauffeur de poids-lourds qui rêve de devenir « écrivain/réalisateur/acteur/
poète/producteur », rien que ça, et Matome est connu pour ses idées excentriques qui débouchent souvent sur de l’inattendu. Il y a, enfin, Baba, le narrateur. Pour l’instant, ses scénarios ne trouvent pas preneur, mais un jour viendra…
À Hillbrow, la survie des uns se fait nécessairement au détriment des autres, d’où l’escalade d’une violence que rien ne semble pouvoir endiguer. Par la voix de Baba, l’auteur, Kgebetli Moele, trace le portrait du désenchantement des Sud-Africains. Sans regret pour une époque révolue, mais avec un bien mince espoir en l’avenir, qui repose surtout sur la fraternité et la solidarité. D’une plume alerte, facile, il brosse à grands traits des portraits finalement subtils, balayant comme avec le faisceau d’une lampe torche les aspects frappants du pays de Jacob Zuma, à travers un quotidien difficile qui n’échappe ni aux préjugés ni au cynisme.
Chambre 207 a remporté deux prix littéraires sud-africains, en dépit de la polémique née de la façon qu’a Moele de parler crûment de racisme, de violence et de sexe. Premier roman d’un homme de 32 ans qui se définit comme appartenant à la kwaito generation, celle qui a grandi dans la période post-apartheid au son du kwaito, ce nouveau style musical urbain, il livre une vision moderne et renouvelée de l’Afrique du Sud, à découvrir au moment où le pays s’expose lui-même au monde entier grâce à la Coupe du monde de football.
Chambre 207, un nouveau roman sud-africain,
Kgbetli Moele, Éd. Yago, 270 p., 18 euros.