Enquête Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le monde discret et feutré de la diplomatie française. Fonctionnement, crispations, grincements, petits et grands secrets, faits, bienfaits et méfaits au Quai d’Orsay.
«Les faits sont têtus », disait Lénine, si bien qu’il n’est nul besoin de grossir le trait, ni de tremper sa plume dans le vitriol, pour démystifier des idées établies. Il suffit de s’en tenir à la réalité des choses. C’est le parti que prend Franck Renaud quand il décrit, dans un ouvrage * très bien documenté qui colle à l’actualité la plus récente, les tours et les détours du Quai d’Orsay et les pérégrinations de ses fonctionnaires autour du globe. Il nous convie à visiter les couloirs de la vieille dame, dépeint l’atmosphère qui y règne, nous promène à travers ses missions à l’étranger et croque à vif les portraits de ses serviteurs, jetant une lumière crue sur le quotidien de ceux qui ont embrassé la carrière et sur la vie de ce ministère.
Son tour d’horizon est exhaustif et sans fard, même si le ton reste mesuré et les conclusions prudentes ; car le cadre distingué où évoluent les acteurs de cette enquête impose une certaine réserve. Or les péripéties qu’il détaille, et il y en a dans ce monde en vase clos, captivent l’attention du lecteur et illustrent à merveille les contradictions d’un univers aux apparences compassées, mais aux comportements libérés et parfois même relâchés.
Intrigues et rivalités
Les Affaires étrangères sont, comme l’écrit Renaud, un « petit ministère » avec de « grandes ambitions ». Ce paradoxe naît du contraste entre une exigeante tradition impériale et un bilan comptable désastreux. Se découvrent ainsi, au fil de ses investigations, des projets grandioses, des gaspillages somptuaires et des mesures d’économie calamiteuses. Car des tensions permanentes opposent au sein même de l’État les adeptes d’un volontarisme gaullien, aux tenants d’un européisme, voire d’un mondialisme, réducteur, le tout arbitré par le ministère des Finances et géré par des diplomates, parfois à ras de terre.
Dans ce cadre étroit s’activent des personnels de divers niveaux qui se distinguent d’abord par leur rang (échelle administrative, expatriés ou recrutés locaux), ensuite par leur mode de recrutement (cadre Orient, École nationale d’administration, détachés d’autres ministères ou pistonnés, dits du « tour extérieur »). Aux rivalités ainsi générées, s’ajoutent celles nées des origines sociales, du sexe (misogynie ambiante, p. 109 à 117), des sympathies politiques et des réseaux homosexuels (l’influent « Gay d’Orsay », p. 123 à 133). Voguant entre leurs préférences intimes et les orientations de principe données par les autorités (ministre et direction politique), les fonctionnaires, en particulier ceux de première catégorie, accommodent les choses à leur manière. Les intrigues, les féodalités, les passe-droits, les abus de pouvoir, la vanité, quelques cas d’indélicatesse (p. 298 à 309) et même de pédérastie (p. 331 à 343) se développent sur ces situations de privilégiés logés dans des terres lointaines. Alors, faut-il jeter les diplomates ? Non, ils restent indispensables. Pour se faire sa propre opinion, quoi de mieux que ce remarquable guide, parfaitement structuré avec deux index, des cartes, une vaste bibliographie, plusieurs organigrammes, des documents de référence… Bref quarante pages d’annexes qui complètent un très riche contenu.
* Les Diplomates, derrière
la façade des ambassades
de France, Franck Renaud, Nouveau Monde Éditions,
2010, 394 p., 21 euros.