En donnant à trois quotidiens réputés 92 000 documents confidentiels sur la guerre en Afghanistan, le site WikiLeaks, qui veut abolir le secret officiel, ouvre une nouvelle ère de l’information. Sans, pour le moment, influer sur la politique de la Maison-Blanche à Kaboul.
Le 25 juillet 2010, trois journaux internationaux – The New York Times (États-Unis), The Guardian (Grande-Bretagne) et Der Spiegel (Allemagne) – divulguaient les documents secrets de l’armée fournis par WikiLeaks, le site internet spécialisé dans la publication de rapports officiels confidentiels. Il s’agissait de l’Afghan War Diary, 2004-2010, près de 92 000 documents secrets sur les six dernières années de la guerre menée en Afghanistan. Un fiasco dans tous les sens, y compris militaire, et la vérité crue sur le double-jeu du soi-disant « allié », le Pakistan, avec les taliban.
Abîme
Il ne semble pas que les informations publiées contiennent de nouvelles révélations. Mais l’important n’est pas là ; il réside dans l’énorme masse de documents sur le conflit, prouvant l’abîme dans lequel se trouvent les alliés, en dépit de la quantité d’hommes, d’armes et d’argent engagée. La fuite de ces rapports a rapidement inondé toutes les pages de journaux, et est désormais accessible à tous.
WikiLeaks, hier encore inconnu du public, a bel et bien inauguré une nouvelle ère dans l’information. Son credo est d’abolir le secret officiel. Il y a trente-neuf ans, en 1971, Daniel Ellsberg, un analyste du think tank Rand Corporation (qui œuvre pour améliorer les prises de décision en politique), avait donné au New York Times les Pentagon Papers, 7 000 pages ultra-secrètes relatant les dessous explosifs de la guerre du Vietnam. À l’époque, Ellsberg était devenu le whistleblower (lanceur d’alerte, celui dévoilant les faits qu’il estime être une menace pour l’intérêt public) le plus célèbre de l’histoire américaine. Henry Kissinger, alors secrétaire d’État du président Richard Nixon, l’avait même désigné comme « l’homme le plus dangereux d’Amérique ». Aujourd’hui, avec Internet et les nouvelles technologies (Ellsberg n’avait qu’une ancienne machine à écrire Xerox !), il est devenu beaucoup plus facile pour un whistleblower de « sortir » des dossiers sur les abus et impostures des officiels, de les copier et les disséminer massivement, et, pour des journalistes et le public, de les absorber.
Il y a moins de quatre ans, Julian Assange, un Australien de 39 ans ayant commencé comme hacker, créait WikiLeaks. Au départ, le site voulait surtout aider les dissidents chinois. Il a continué en rendant publics des documents embarrassants pour les gouvernements et les sociétés privées. Par exemple la vidéo montrant des soldats à bord d’un hélicoptère de combat Apache de l’armée américaine tirant, à travers leurs viseurs, sur la foule à Bagdad, en 2007. Un jeune analyste du renseignement américain, Bradley Manning, soupçonné d’avoir organisé la fuite, a été emprisonné à la suite de cette diffusion. Il est maintenant suspecté d’avoir donné à WikiLeaks les rapports secrets sur l’Afghanistan. Le site tente de trouver de l’argent pour sa défense.
Division démocrate
En dépit de la fuite historique du 25 juillet, l’Amérique officielle semble ne pas réagir. Au mieux exprime-t-elle un certain embarras, au pire nie-t-elle la réalité du bourbier afghan. Le 27 juillet, la Chambre des représentants a débloqué 33 milliards de dollars pour continuer à financer les deux guerres menées par les États-Unis en Irak et en Afghanistan. Le vote a montré une grande division dans les rangs démocrates : seulement 60 % ont voté pour, avec 93 % des républicains, afin de garantir son passage. On ne peut que se demander pourquoi le gouvernement continuer à jeter ces sommes dans un tel gouffre, à un moment où le pays est préoccupé par la crise économique. Les autorités parlent de national building («?construction nationale?») pour l’Afghanistan. Les Américains répondent : national building chez nous !
Trois journalistes du New York Times ont été reçus par le président quelques jours avant la publication des documents fournis par WikiLeaks. Selon eux, bien que stressée par la fuite, la Maison-Blanche les a néanmoins remerciés pour leur avoir donné une chance de discuter et pour traiter l’information avec responsabilité (1). Certains détails, qui pouvaient indiquer l’identité d’informateurs afghans ou nuire aux forces de l’Otan, ont été ôtés de concert, par « souci pour la sécurité nationale ».
Cela étant, dans sa première réponse publique sur les fuites, le président a insisté : elles n’auront aucune incidence sur une quelconque modification de l’engagement américain dans la guerre, et les problèmes en Afghanistan rendus publics étant connus depuis longtemps, son administration est en train d’y faire face.
On ne peut s’empêcher de penser avec tristesse que le président avait là une vraie opportunité de quitter l’Afghanistan, aujourd’hui plutôt que demain, et qu’il l’a ratée.
(1) Alex Pareene, Information Clearing House, 27 juillet 2010.