Né en 1947, Mitt Romney, gouverneur du Massachusetts de 2003 à 2008, est le digne fils de son père, George, lui-même gouverneur – du Michigan – de 1963 à 1969. Et, comme son père contre Nixon en 1968, Mitt Romney échoua il y a quatre ans à l’investiture républicaine face à un McCain qui, comble du mépris, lui préférera Sarah Palin en colistière. Certes, d’aucuns diraient que la comparaison s’arrête là, car le fils, lui, enfin investi, aura réussi son pari pour 2012. Mais l’adversaire déclaré d’Obama a un autre point commun avec son défunt paternel : sa propension à changer d’idée sur les grands sujets du moment. En 1965, de retour d’un voyage au Vietnam, George Romney avait qualifié la guerre de « moralement juste et nécessaire »… avant de changer radicalement d’avis, jurant avoir été victime d’un « lavage de cerveau » par les militaires. C’est ce revirement, dit-on, qui lui fit perdre l’investiture républicaine.
Le fils Mitt est, lui aussi, passé maître dans l’art de la virevolte. La campagne qu’il a menée ces derniers mois contre les autres prétendants républicains (Gingrich, Santorum et consorts) fut cinglante. Ces confrontations, envenimées, voire venimeuses, ont laissé des traces. Aujourd’hui, malgré tous ses efforts, Romney, jadis progressiste – comme son père d’ailleurs – ne parvient pas à se débarrasser d’une réputation d’homme « changeant », impossible à cataloguer, bien nommé « flip-flop » ou girouette. Et les exemples de ses pirouettes sont légion : il a mis en place et défendu un plan de réforme de la santé très semblable à celui d’Obama avant de se déjuger ; il a favorisé les recherches sur les cellules souches avant de les renier ; il a défendu l’avortement et la cause homosexuelle (notamment dans l’armée) avant de les dénoncer ; il a affirmé que les hommes étaient responsables des changements climatiques avant de le contester ; il s’est prononcé contre le port d’armes avant d’en devenir un ardent défenseur ; il a juré qu’il détenait un pistolet avant de se contredire, il a changé mille fois d’opinion sur les questions d’immigration…
Mais sa casserole la plus volumineuse tient sans conteste au fait qu’il refuse de publier ses avis d’imposition d’avant 2010 – il s’est borné à dévoiler sa feuille d’impôt de 2010 et a promis de faire la même chose pour 2011. Malgré les pressions des démocrates, le candidat flip-flop campe sur ses positions, assurant « payer tous les impôts dus. Et pas un centime de plus ». Le mois dernier, lors d’un déplacement en Caroline du Nord, il en est même arrivé à se poser en victime, qualifiant cette fascination des démocrates pour ses impôts de « vraiment très mesquine ».
La fiscalité du candidat républicain est devenue un thème central de la campagne présidentielle. On exige de Mitt Romney qu’il fasse preuve de la même transparence que les précédents candidats à la présidentielle (en 2008, Barack Obama avait dévoilé plus de dix ans de feuilles d’impôt). Le malaise est d’autant plus grand que c’est son propre père qui a institué l’habitude de publier le détail des dix dernières années d’impôts des prétendants au siège suprême.
Les démocrates ne sont pas les seuls à critiquer son attitude. Les personnes les plus influentes du Grand Old Party (GOP) ainsi que les médias de droite insistent désormais pour qu’il dévoile ses comptes. Selon eux, le fait de cacher le montant de ses revenus insinue qu’il cache le pire. Son imposition de 2010 a déjà montré qu’il possède un compte en banque en Suisse – un fait sans précédent pour un candidat à la présidentielle – et révélé des investissements dans des paradis fiscaux, tels les îles Caïman et les Bermudes.
C’est en 1983 que Mitt Romney entre chez Bain. Un an plus tard, le fondateur, Bill Bain, lui confie les rênes de Bain Capital, un fonds d’investissement nouvellement créé. Il devient multimillionnaire (sa fortune personnelle atteindrait aujourd’hui 250 millions de dollars). En 2003, lorsqu’il brigue le poste de gouverneur du Massachusetts, ses rivaux démocrates demandent, devant une commission de l’État, que son nom soit enlevé du scrutin. Motif : nommé à la direction de l’organisation des jeux Olympiques d’hiver de Salt Lake City de 2002, il s’était coupé dès 1999 du Massachusetts. Réponse laconique de son avocat : « Pendant trente ans, le centre de sa vie sociale, civique et d’affaires a été le Massachusetts. »
Le président Obama et les démocrates mettent justement en cause sa responsabilité chez Bain durant ces trois ans. En toile de fond, des investissements aujourd’hui très controversés qui ont eu lieu pendant cette période, notamment le financement par Bain Capital d’une dizaine de sociétés spécialisées dans l’outsourcing – l’aide à des sociétés pour trouver de la main-d’œuvre moins coûteuse à l’étranger.
Pour décharger leur candidat, les républicains affirment qu’il a bel et bien renoncé à la direction de Bain lorsqu’il a pris celle des JO. Un haut conseilleur de Romney, Ed Gillespie, a déclaré sur la chaîne CNN que le candidat s’était retiré « rétroactivement » de Bain, plus de deux ans après l’avoir quittée en 1999…
On peut en douter. Mitt Romney a toujours gardé le contrôle de la société de fonds d’investissement, comme le montrent quelque 140 documents enregistrés entre février 1999 et août 2001 à la Securities and Exchange Commission (l’organisme de réglementation et de contrôle des marchés financiers) et portant sa signature ou son nom, en tant que PDG et unique propriétaire de la compagnie. Mieux, des documents financiers enregistrés à la Massachusetts State Ethics Commission indiquent que, pendant son exercice à Salt Lake City, Mitt Romney a perçu un salaire à six chiffres en tant que patron de Bain Capital… et pas un sou de la part de la direction des jeux Olympiques !
Le plus pathétique dans cette histoire est que c’est Romney lui-même qui a créé la polémique dans laquelle il est empêtré : pour se défendre des accusations de soutien aux délocalisations, le candidat républicain a affirmé que ces événements avaient eu lieu après son départ pour les JO ; en même temps, il s’est vanté de sa capacité à créer des emplois dans des sociétés dont la croissance… a eu lieu après 1999 ! Romney voulait ainsi prendre à son crédit les réussites de Bain, mais pas ses échecs. Une contradiction de plus que l’éditorialiste du New York Times, Gail Collins, a résumée en cette phrase : « Romney était chez Bain après 1999, mais pas dans le sens où il a occupé un espace physique. Il était employé par des gens dans l’Utah [à Salt Lake City], mais pas dans le sens où ces gens lui délivraient son salaire. »
Mitt Romney a passé la dernière décennie à essayer de devenir président. En affirmant le tout et son contraire, il prend le risque de ne jamais y parvenir. Il devrait se souvenir qu’un certain George Romney, flip-flop à son heure, a perdu une élection en se comportant de la sorte. Son refus de transparence, incompréhensible pour une majorité des Américains, n’est pas fait pour l’aider à deux mois de la présidentielle.