En décembre et janvier dernier, au grand dam d’Israël et de son allié étasunien, six pays d’Amérique du Sud ont reconnu l’État palestinien. Tout un symbole ou juste un symbole ?
En l’espace de deux mois, le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, la Bolivie, l’Équateur, le Chili et le Paraguay ont reconnu l’État palestinien. C’est Lula le premier qui, le 3 décembre dernier, a montré l’exemple. Dans une lettre adressée à Mahmoud Abbas, en réponse à une demande faite par celui-ci dix jours plus tôt, il a officiellement déclaré que « leBrésil reconnaissait l’État palestinien dans ses frontières de 1967 ». Justifiant cette initiative, le gouvernement brésilien a rappelé que depuis 1998, la Délégation spéciale de la Palestine à Brasilia jouit d’un statut en tous points équivalent à celui d’une ambassade et que Abbas et Lula se sont rencontrés trois fois (au Brésil en 2005 et en 2009 et en Palestine occupée en mars 2010). Quatre jours plus tard, Hector Timerman, ministre des Affaires étrangères de l’Argentine, a donné lecture d’une lettre envoyée par la présidente Cristina Kirchner à Abbas, dans des termes substantiellement identiques à ceux de Lula. Ce 7 décembre, confirmant que cette double reconnaissance (de l’État palestinien indépendant et des frontières de 1967) faisait bien, comme l’avait déclaré Timerman, consensus parmi les membres du Mercosur, le gouvernement de l’Uruguay a immédiatement fait savoir qu’il allait aussitôt se joindre aux gouvernements de Brasilia et de Buenos Aires. Puis, les 22 et 24 décembre, les gouvernements de la Bolivie et de l’Équateur, suivant l’orientation anti-impérialiste de leurs programmes, ont respectivement adopté la même position.
Le 7 janvier, le gouvernement chilien s’est aussi prononcé dans ce sens. Mais à la différence des cinq présidents progressistes qui l’ont précédé, Piñera s’est contenté de reconnaître l’État de la Palestine. Pas un mot sur les frontières de 1967. Cette initiative d’un président de droite tel que Piñera, élu avec le vote des nostalgiques de Pinochet, reste tout de même positive. Bien plus positive en tout cas que le mutisme honteux des deux autres gouvernements de droite en Amérique du Sud, péruvien et colombien. Enfin, le 28 janvier, le ministère des Affaires extérieures du Paraguay a rejoint ses partenaires du Mercosud, annonçant que son pays reconnaissait la Palestine comme un « État libre et indépendant, dans ses frontières du 4 juin 1967 ».
Sans surprendre personne, le gouvernement israélien a « regretté », les unes après les autres, ces reconnaissances. Son argument, comme d’habitude, a consisté à rendre coupable l’adversaire : « Ce type de décision ne sert qu’à encourager les Palestiniens à ne pas accepter les négociations directes, ne contribuant donc en rien pour la paix. » En vérité, en plus de leur portée éminemment symbolique, ces décisions auront à cœur de décourager les colons facho-sionistes à continuer à s’établir dans les territoires occupés, mais aussi à faire entrer dans la tête des dirigeants israéliens que la politique du fait accompli n’est pas toujours payante.
Il reste que la diplomatie israélienne n’a pas que de motifs de plainte à l’égard de l’Amérique du Sud. La note officielle du ministère brésilien des Affaires étrangères qui accompagne l’annonce de la reconnaissance de l’État palestinien fait aussi référence à l’accord de libre commerce conclu l’année dernière entre Israël et le Mercosud, le premier que le bloc sud-américain ait passé avec un pays situé en dehors de la région. Les rapports entre le Brésil et Israël n’ont jamais été aussi solides, ajoute la note, marquant ainsi la différence entre échanges économiques et principes politiques. C’est là en effet une orientation constante de la politique étrangère du gouvernement Lula, ainsi que de ses partenaires du Mercosud : la croissance est une chose, la solidarité en est une autre. On peut d’ailleurs se demander pourquoi ces initiatives diplomatiques, de toute évidence prises d’un commun accord, ont été adoptées entre 2010 et 2011, alors qu’elles auraient pu l’être il y a deux ans, en réponse aux atrocités facho-sionistes commises dans la bande de Gaza. Rappelons qu’à ce moment, Chávez, lui, avait choisi de rompre les relations diplomatiques avec l’État israélien…
Le souvenir de Gaza joue certainement un rôle dans la croissante solidarité diplomatique à l’égard de la Palestine. Mais pour le bloc sud-américain qui a suivi l’initiative brésilienne, il y a aussi une nette volonté de se démarquer de la position lâche et hypocrite de la Maison-Blanche. En effet, les porte-paroles du président Obama, plutôt que de reconnaître leur incapacité à bloquer la colonisation israélienne de la Cisjordanie – condition sine qua non pour la reprise de négociations susceptibles de conduire à une paix juste et durable dans la région –, ont repris à leur compte les formules onctueuses de leurs partenaires de Tel-Aviv :« Je suis franchement déçu de la décision du gouvernement argentin de reconnaître l’État de la Palestine de manière unilatérale et en dehors du contexte d’une négociation entre Israël et les Palestiniens », a ainsi déclaré le député Eliot Engel, proche collaborateur d'Obama, qui lui avait notamment fait rencontrer la présidente Cristina Kirchner. « Cette décision erronée entraînera de plus grandes difficultés pour obtenir la paix au Moyen-Orient. Elle n’aura qu’un seul effet : supprimer le motif qui pourrait amener les Palestiniens à négocier », a-t-il ajouté. Louons au moins sa sincérité : il faut qu’ils négocient sous pression. Seuls les larbins du Pentagone sont d’accord avec lui.