M. Kadhafi a fait appel aux Touaregs du Mali et du Niger en renfort afin de sécuriser le sud du pays, en vertu d’un accord datant de 1980. Le retour de ces derniers dans leurs territoires d’origine pourrait déstabiliser davantage encore une zone sahélienne déjà fragilisée.
Si le Colonel Kadhafi se dit Touareg de par sa filiation maternelle, c’est davantage dans l’Histoire qu’il convient de trouver les fondements de cette relation fratricide et au cours de laquelle le Guide a tenté de conserver les rênes de la paix dans la zone. Plusieurs éléments touaregs sont alors membres de la légion islamique, mise en place par Kadhafi en 1969 dans le but de contribuer à la création d’un Etat islamique en Afrique du Nord et se sont établis en Libye après le démantèlement de la légion en 1980. De 1981 à 1991, le Colonel aurait même installé un camp d’entrainement qui leur était destiné dans ces régions septentrionales. De nombreux acteurs clefs au Sahel, tel que l’ancien chef rebelle du Mali Ibrahim Ag Bahanga – qui a momentanément trouvé refuge à Tripoli – en sont d’ailleurs issus. M. Kadhafi ne cessera dès lors de tenter de conforter cette position de pivot et d’étendre son influence au travers de ce peuple nomade. En avril 2006, lors de la fête du Mouloud à Tombouctou, le Guide a mis en place la « grande association des tribus du grand Sahara » regroupant les Touaregs d’Algérie, du Mali et du Niger ; un projet initié en 2005, où au cours d’une réunion dans la ville frontière d’Oubari, il avait explicitement poussé les Touaregs à se fédérer en une force politique et militaire. Il a depuis oscillé tantôt entre la posture de médiateur et celle de porte-parole des Touaregs, comme lorsqu’en en août 2008 au cœur de la rébellion maliano-nigérienne, il s’était entretenu avec le chef des bandits armés du Niger, Aghali Alambo, contribuant à leur faire abandonner les armes.
Et dès le commencement de cette crise libyenne, le 17 février dernier, c’est tout naturellement que ces Touaregs se sont à nouveau rapprochés de M. Kadhafi. Ils auraient participé aux manifestations de soutien au Guide rapportées au début du mouvement de violences, arrivés à bord d’un gros porteur à l’aéroport de Tripoli. Aujourd’hui encore, les troupes du General Ali Kana – Touareg en charge des garnisons du Sud – font partie de la garde rapprochée de M. Kadhafi et constituent une base-arrière militaire stratégique du régime central de Tripoli. Aghali Alambo, l’ancien patron controversé du MNJ au Niger, serait également actuellement dans la capitale et les anciens rebelles du sud libyen à Sebah et Oubari. Un bureau de recrutement discret serait installé dans un hôtel de Bamako appartenant à la Libye et les entretiens seraient menés par un diplomate libyen qui servirait d’agent recruteur, en liaison directe avec ceux postés directement en zone sahélienne.
Ces Touaregs sont assimilés à ses mercenaires privilégiés, sans lien de consanguinité ni d’ethnie, étrangers aux aspirations libertaires des Libyens. A terme, forts de l’argent et des moyens logistiques collectés lors de cette crise libyenne, ils pourraient développer leurs activités et multiplier les rezzous (pillages), contribuant par là-même tant à la remise en cause qu’à la destruction des structures et schémas traditionnels locaux, dans des pays où la paupérisation et la famine sont déjà ancrées. Organisés et galvanisés par la lutte, structurés par cette session d’entrainement libyenne, s’appuyant sur des moyens logistiques leur conférant une mobilité accrue – notamment via la récupération de véhicules – ils devraient tenter de procéder méthodiquement à la récupération des zones du nord malien et nigérien.
Un schéma de guerres claniques à l’image de celui observé en Somalie reste probable – la Libye étant un conglomérat qui s’appuie sur une structure tribale fractionnée de plusieurs centaines de groupes –, mais les Touaregs devraient avant tout asseoir leur influence, déjà conséquente, dans les zones volatiles nordistes du Mali et du Niger.
Au Niger, le processus politique en cours et la période de transition assimilée fragilisent grandement une situation pourtant étroitement encadrée par l’armée depuis la prise du pouvoir de la junte. Cependant, les luttes armées pourraient prospérer et les Touaregs mettre rapidement à profit ce déficit politico-sécuritaire pour y développer leur mouvement.
Au Mali, où le gouvernement est particulièrement soucieux de maintenir l’équilibre entre la souveraineté et la quasi-autonomie de l’extrême nord du pays, la présence excessive de l’armée y suscitait déjà depuis plusieurs mois une certaine ferveur, encourageant les Touaregs à y reprendre les armes. Aussi, une fois revenus sur ces territoires, où l’implantation et l’implication de mouvements djihadistes qui ne se sentent plus concernés par l’accord implicite passé avec les autorités bamakoises est de plus en plus importante, ces éléments touaregs devraient trouver un champ d’action d’autant plus favorable ; champ d’action qui sera de facto exploité par AQMI, qui entend de la même manière jouir de l’ensemble de ces zones de non-droit.
par Bérengère Grimoud, Analyste Maghreb/ Sahel du Bureau Veille et Analyse Risques Pays – Flash GEOS