Pendant que les Occidentaux s’embourbent en Afghanistan, enfermés dans leurs cadres stratégiques étroits et leurs fantasmes de puissance, d’autres s’engagent sur des voies plus pragmatiques et à longue vue.
Le projet de chemin de fer chinois entre la province autonome du Xinjiang et l’Afghanistan est en route et devrait changer non seulement l’équilibre des forces dans la région mais également la donne économique des pays concernés. La ligne dont des segments sont déjà en construction, traversera le Kirghizistan et le Tadjikistan avant d’entrer en Afghanistan et de se séparer en deux branches, l’une vers l’Iran et les ports du détroit d’Ormuz, l’autre vers le Pakistan. Une ouverture nouvelle pour la Chine vers le Golfe Persique et l’Asie du Sud qui lui permettra d’éviter la longue route maritime par le détroit de Malacca. Situé entre la péninsule malaise et l’ile indonésienne de Sumatra et reliant la mer d’Andaman et la mer de Chine méridionale, ce détroit long de 800 km est, jusqu’à aujourd’hui, la principale route d’approvisionnement en pétrole du Japon et de la Chine.
La « Nouvelle route de la soie » qui fédèrera cinq pays de la région dont trois stratégiques – l’Iran, la Chine et le Pakistan – pourrait remplacer avantageusement pour l’Afghanistan et ses partenaires, la Pax Americana dont on a vu depuis des décades qu’elle était facteur, par essence, de chaos et d’instabilité, et garantir – c’est ce qui est souhaité –stabilité et prospérité en Afghanistan. D’autant que le pays regorge de ressources minières immenses et non exploitées, que ce soit le charbon, les métaux les plus stratégiques et de plus en plus indispensables aux industries modernes, ou encore l’or. La Chine est déjà présente, entre autres, par la signature d’un accord de cession des mines de cuivre d’Aynak.
Reste la question de l’Inde. S’intégrera-t-elle dans cette future nouvelle donne géostratégique ? Comme la Chine, elle est déjà très présente en Afghanistan, dans la construction d’infrastructures notamment dans lesquels elle a investi plus d’1,5 milliards de dollars. Entre autres, un projet de 900 km de chemin de fer, pratiquement terminé, entre la ville de Hajigak, au sud-ouest de Kaboul et le port de Chabahar en Iran, près de la frontière pakistanaise. Avec au bout, la perspective d’exploitation des mines de fer de la région de Bamiyan et un accès à la mer qui évite de passer chez son frère-ennemi, le Pakistan. Selon la presse indienne, 14 des 22 compagnies en compétition pour l’exploitation des mines de Bamiyan sont indiennes. Derrière la ligne Hajigak-Chabahar se trouve aussi la perspective d’une nouvelle voie vers l’Asie centrale, riche en minerai et en pétrole. Le port de Chabahar en concurrence avec celui de Gwadar, situé aux portes du détroit d’Ormuz, au Pakistan, à une centaine de kilomètres de la frontière iranienne et financé à 85% par la Chine, illustre la course de vitesse qui oppose les deux géants émergents, avec une grosse avance pour la Chine qui étend également son influence chez les partenaires traditionnels de l’Inde comme le Sri Lanka qui, avec un taux de croissance de plus de 8%, n’est pas loin de devenir un des pays d’Asie à revenus moyens supérieurs, selon l’agence d’évaluation Bloomberg.