En 2007 à Tachkent, on soutenait qu’il n’y avait pas de pasteurs nomades en Ouzbékistan. Le désert du Kizil Koum avait été irrigué à l’époque soviétique par les eaux de l’Amou Darya pour la production industrielle du coton. La chute de l’URSS et l’indépendance, en août 1991, avaient apporté des changements importants et une redistribution des terres, mais les quotas annuels définissaient toujours la production du coton, du blé et du riz de manière centralisée.
La production animalière et l’élevage n’avaient pas encore attiré l’attention des responsables de l’État indépendant et les données chiffrées et qualitatives étaient absentes, ou souvent confondues avec celles de l’agriculture. Pourtant, sous le régime soviétique, la collectivisation concernait aussi l’élevage, dont la production était organisée autour de sovkhozes spécialisés. Le bétail appartenait aux fermes collectives qui régulaient l’économie animalière. Toute la chaîne de production était subdivisée et gérée « d’en haut », alors que les pasteurs nomades assuraient le gardiennage des troupeaux sans se soucier du reste. Installés en bordure du désert, ces centres regroupaient également tous les services nécessaires à ces populations devenues sédentaires.
Avant la soviétisation, le pastoralisme nomade était important dans la région. De grands troupeaux appartenaient à des chefs de clan nomades et étaient gardés par les pasteurs. Ils appliquaient des savoir-faire concernant la gestion des pâturages, l’eau, et un système de métayage qui incluaient également des relations de clientélisme et d’appartenance tribale. Avec la soviétisation, toute l’organisation sociale et tribale ainsi que la gestion traditionnelle des ressources naturelles et du troupeau ont été effacées et oubliées.
Les réformes agraires et la restructuration du système agricole après l’indépendance ont institué différents degrés d’appropriation des terres. Chaque unité familiale a obtenu seize hectares, considérés comme l’unité de base de la propriété privée villageoise et servant essentiellement à la consommation familiale. Ils permettent la survie et assurent la sécurité alimentaire.
Par ailleurs, les vastes terres agricoles et irriguées ont été rachetées par des entreprises privées qui continuent à pratiquer l’agriculture du coton soumise aux quotas, alors que le travail dans les champs est accompli par les habitants des villages qui sont devenus ainsi des métayers.
Qu’en est-il des sovkhozes spécialisés dans la production animale ? Tout comme la terre, les animaux des sovkhozes ont été revendus aux habitants des villages. Certains ont pu racheter quelques têtes, mais la grande majorité a été acquise par des entreprises privées. Les habitants des villages, anciennement membres des sovkhozes, sont devenus de ce fait les gardiens des troupeaux. Par un système de métayage qui permet de garder un animal sur cent nouveau-nés, ces bergers-métayers ont petit à petit constitué à leur tour leur troupeau, comptant parfois jusqu’à cent têtes.
Celui-ci représente souvent l’unique revenu. Il s’agit de l’épargne sur pied qui assure, avec la culture du lopin de terre, la sécurité alimentaire dans ces villages en bordure du désert. Car, dans ce milieu aride, les pâturages naturels constituent la seule nourriture disponible pour le bétail, ainsi que l’eau, toujours considérée comme une ressource naturelle accessible pour tous.
Ces dix dernières années, le nombre de ces nouveaux pasteurs a considérablement augmenté. Devenu pour beaucoup l’unique activité économique possible, le retour au désert représente aujourd’hui un moyen de survie pour des villages entiers, malgré l’oubli des savoir-faire traditionnels et l’absence de connaissances sur l’ensemble de la production animalière.
Les animaux sont faibles et les ressources naturelles sont utilisées sans aucune gestion appropriée. Les troupeaux sont conduits là où l’herbe et l’eau sont encore accessibles, jusqu’à leur épuisement. Dans ce milieu naturel fragile, où la salinisation due à l’irrigation sévit, la sauvegarde de l’environnement et des pâturages par un système de gestion locale, voire traditionnelle, est primordiale pour assurer la survie des populations nomades de plus en plus nombreuses.