La situation de gravité exceptionnelle entre les voisins du Nord et du Sud a ravivé les tensions plus ou moins dormantes entre leurs puissants alliés respectifs, la Chine et les États-Unis. Sous fond de domination économique mondiale.
L’image de colonnes de fumée noire s’élevant le 23 novembre au-dessus des ruines de l’ile sud-coréenne de Yeonpyeong a fait sensation. C’est la première fois depuis la guerre de Corée (1950-1953) que la Corée du Nord attaque si ouvertement le territoire de la Corée du Sud. Cette énième provocation de la dynastie des Kim a déclenché un concert international de condamnations. Le porte-parole de la Maison Blanche, Robert Gibbs donnant le tempo « Les États-Unis condamnent fermement cette attaque et appellent la Corée du Nord à cesser son action belligérante ». Une condamnation unanime à une exception près, et de taille, celle de la Chine. Beijing s’est bornée à déplorer cette « tragédie » et exhorté les deux Corées à « faire davantage pour contribuer à la paix ». Quoi qu’en disent les télégrammes de Wikileaks, la Chine n’est pas prête à abandonner son allié nord-coréen et encore moins accepter une réunification des deux Corées sous parapluie américain. Insidieusement la presse chinoise accréditait la thèse nord-coréenne d’une provocation… sud-coréenne ! Pour Pyongyang, il s’agit en effet d’une réponse cinglante aux manœuvres navales américano-sud-coréennes se déroulant du 28 novembre au 1er décembre à seulement 80 km de l’île de Yeonpyeong distante de 12 km des côtes nord-coréennes.
Usant de son inénarrable faconde Pyongyang stigmatisait les « impérialistes américains » et leur « marionnette belliciste sud-coréenne » s’agitant contre l’indestructible Corée du Nord : « La situation de la péninsule Coréenne se rapproche du bord de la guerre à cause du projet imprudent de ces excités de la gâchette ». Le comité pour la réunification pacifique de la Corée menaçait « notre armée tient prêts les canons de son artillerie et si les envahisseurs osent faire intrusion sur notre territoire terrestre, aérien ou maritime, nous transformerons le cœur de nos ennemis en une mer de feu ». Ce sursaut de rhétorique guerrière n’est pas inquiétant en lui-même. La dynastie des Kim peut tout à fait hausser le ton, surenchérir dans le nationalisme et – qui sait ? – entreprendre de nouvelles gesticulations atomiques pour resserrer les rangs de l’armée autour de Kim Jong-un, le « jeune général », héritier présumé de Kim Jong-il très affaibli depuis un malaise cérébral en 2008. De plus, l’île de Yeonpyeong quasi déserte, non militarisée et sans industrie ne représente pas un intérêt stratégique réel.
Par contre, pour Beijing et Washington, ce regain de tension a un intérêt stratégique non négligeable. Les manœuvres en mer Jaune auxquelles participait le porte-avions nucléaire US George-Washington ont irrité Beijing. De plus en plus sourcilleux à l’égard de ce qu’il considère comme son pré carré, le pouvoir chinois s’insurge « contre toute action militaire non autorisée à l'intérieur de la zone économique exclusive de la Chine ». Au-delàde cette nouvelle crise intercoréenne se profile la rivalité entre les deux premières puissances économiques mondiales. En refusant d’admonester son imprévisible allié nord-coréen, l’atelier du monde affirme sa puissance et son opposition aux États-Unis qu’il entend égaler d’ici 2030-2050. Mao reprit un jour un mot d’un empereur Song : « Nous ne permettrons jamais à d’autres de venir ronfler près de nos lits… » Un mot que les États-Unis devraient méditer.