En annonçant le 7 octobre la signature imminente d’un accord de paix entre Manille et le Front moro islamique de libération (MILF), le président philippin Benigno Aquino a créé la surprise. Celui prévoit que, d’ici à 2016, les Moros, population musulmane de Mindanao, gagneraient leur autonomie économique et religieuse au sein d’une entité administrative à créer, le Bangsamoro (« la patrie des Moros »). Manille garderait la main haute sur la sécurité, la défense, la diplomatie et le commerce international. L’accord a été signé une semaine plus tard, le 15 octobre. Aquino espère ainsi que les 12 000 combattants du MILF abdiqueront toute velléité d’indépendance et déposeront les armes pour, finalement, intégrer l’administration philippine. Après quarante ans de lutte et plus de 120 000 victimes, Mindanao serait donc sur le chemin de la paix, voire en route vers la prospérité. Car, au vu des rapports d’exploration géologique, le sous-sol de la grande île du sud de l’archipel philippin recèle un pactole en or, cuivre et hydrocarbures d’une valeur estimée à 240 milliards d’euros.
La communauté internationale a immédiatement salué la feuille de route vers la paix et le développement. En mer de Jolo, au large de Mindanao, le pétrolier français Total s’est associé avec la compagnie malaisienne Mitra Energy afin d’explorer des gisements de gaz et de pétrole. Reste un problème majeur : la restauration d’un climat de confiance propice à la croissance. Au dernier classement des pays à risques économiques liés au terrorisme, établi par le Forum économique mondial, les Philippines sont classées à la 126e place sur 144. Une tâche ardue attend donc Begnigno Aquino, d’autant plus que l’accord-cadre du 15 octobre laisse de nombreuses questions en suspens.
Trahison du peuple
À commencer par les questions économiques : comment seront réparties les richesses de Mindanao ? Quel pouvoir sera réellement alloué à l’administration moro qui aura le privilège de lever les impôts et les taxes ? Tant que la question fiscale ne sera pas réglée, les investisseurs risquent bien de rester frileux. Vient ensuite la question militaire : comment va-t-on procéder au désarmement du MILF ? Ses membres intégreront-ils les forces de police ou militaires contrôlées par le pouvoir central ? Dans les rangs moro, on s’interroge : que se passera-t-il si l’on dépose les armes et que Manille n’honore pas ses engagements ? Enfin, se pose la question, cruciale, de la réaction des autres mouvements indépendantistes moros, notamment celle du Front de libération national moro (FLNM) qui ne cache pas son irritation. Au lendemain de la signature du traité de paix, Nur Misuari leader du FLNM, haranguait déjà ses fidèles : « Allons-nous laisser faire cette conspiration ? Certainement pas… c’est une reddition totale et une trahison du peuple. »
Pour Nur Misuari, la création du Bangsamoro sonnera le glas de la Région autonome du Mindanao musulman (ARMM), créée en 1996 à la suite de l’accord de paix signé entre le président Estrada et le FLNM. Celui du 15 octobre dernier est évidemment un coup dur pour le FLNM, qui perd sa prééminence politique au profit du MILF, une branche dissidente du Front. Mais l’histoire de l’insurrection moro est une interminable litanie de capitulations, abandons et traîtrises, dont les dates charnières s’égrènent en autant de capitales. Après les agréments de Tripoli en 1976, les accords de paix de Jakarta en 1996, voici l’accord-cadre de Manille en 2012. Souhaitons que cette dernière capitale sonne vraiment la paix retrouvée entre le MILF, le FLNM et le gouvernement philippin, mais aussi avec Abbu Sayyaf, la secte islamiste connue pour ses prises d’otages, demandes de rançons et assassinats en séries. Mais, à ce jour, personne ne sait quelle sera la réaction.