Envolées les certitudes, étriqués les arguments, violés les tabous : la guerre d’Afghanistan n’a pas fini de faire des remous au Reichstag de Berlin.
«L’idée était [en 2001] : nous, la communauté internationale, sommes à Kaboul d’où la stabilité rayonnera sur tout l’Afghanistan. C’est le contraire qui est arrivé. Nous devons nous retirer. » Ces mots ne sont pas d’un pacifiste angélique, mais de Peter Struck (Parti social-démocrate, SPD, opposition), ancien ministre de la Défense, aujourd’hui autant déçu qu’il était partisan et artisan convaincu de l’intervention militaire. « De facto, c’est un pat (1) », constate, un rien objectif, un autre responsable allemand, le général Harald Kujat, qui était, dès le début, en charge de la planification de l’engagement de son pays aux côtés des États-Unis. Un autre dignitaire, l’ancien secrétaire d’État à la Défense, Walter Stützle (SPD), enfonce le clou : « L’intervention militaire a été et demeure une grave erreur. »
Les Verts aussi
Ces déclarations recueillies par l’hebdomadaire Der Spiegel (mi-juin 2010) expriment le malaise des milieux politiques allemands face à ce que la chancelière Angela Merkel a consenti, après force triturations sémantiques, à désigner sous le vrai vocable de guerre, appelant tous les partis politiques à réaffirmer leur soutien à cette guerre. Ce que même le vertueux parti des Verts ne répugne pas à faire, laissant seul Die Linke, le nouveau parti de gauche, proclamer son hostilité.
Cependant, la réalité du terrain laisse de moins en moins de place au doute quant à l’impossibilité d’une victoire militaire de la coalition et du régime de Kaboul qu’elle a installé. Et les interrogations sur les motivations réelles et les objectifs inavoués de cette guerre se font jour. L’argument selon lequel « la sécurité de l’Allemagne est défendue dans l’Hindou Kouch » est « faux et dangereux », souligne Volker Rühe (Union chrétienne-démocrate, CDU), un autre ancien ministre de la Défense, qui ajoute : « Les taliban ont un agenda régional et, tout mauvais qu’ils soient, ils n’envisagent pas d’attaquer Hambourg ou New York ! »
Alors qu’en est-il ? La réponse est à chercher dans les propos de l’ex-président Hörst Köhler, diffusés sur une radio publique allemande à la mi-mai dernier : « Dans le doute et en cas de nécessité, un engagement militaire peut être nécessaire pour protéger nos intérêts, par exemple la liberté des voies commerciales, par exemple en empêchant l'instabilité dans des régions entières qui aurait des effets négatifs sur nos échanges, nos emplois et nos revenus. » Politiquement incorrect, se sont exclamés, unanimes, les bien-pensants des principaux partis qui ont poussé le trop naïf ou le trop franc ancien patron du FMI et premier magistrat fédéral à démissionner de son poste.
Cette remarque de Köhler réduit à néant les arguments ressassés depuis neuf ans sur la démocratie et les droits de l’homme et, surtout, porte atteinte au consensus social qui a servi de directive à la Constitution allemande après 1945, selon laquelle aucune guerre ne partirait du sol allemand. Or, guerre il y a, reconnaît l’actuel ministre de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, et sans que le Parlement, qui la soutient en termes politiques, ne l’ait formellement autorisée. Une guerre dont les objectifs sont de prouver la loyauté de l’Allemagne à l’Otan et aux États-Unis, et de prendre une option sur sa part des richesses minières et énergétiques de l’Afghanistan, stratégiques pour l’économie allemande.
Le prix à payer commence à se faire sentir lourdement pour une opinion désormais hostile (70 % de la population) qui subit les effets de la crise : déjà six milliards d’euros engloutis dans le conflit, tandis que la liste des morts allemands s’allonge inexorablement. Avec 173 tués, le Canada, pourtant allié fidèle des États-Unis, a jeté l’éponge, suivi par les Pays-Bas qui n’ont pas supporté plus de vingt-quatre victimes. Les Allemands, eux, en sont à plus de cinquante. Peuvent-ils ne compter que sur « Dieu » pour éviter que ce nombre n’augmente, comme l’a suggéré le général Stützle ? Sans doute pas : le général David Petraeus a remplacé le général McChrystal au commandement des forces de l’Otan en Afghanistan. On connaît sa « logique », expérimentée en Irak : servante du complexe militaro-industriel des États-Unis.
(1) Coup nul aux échecs.