À son rythme, l’administration américaine a fini par comprendre que l’évolution de la crise syrienne ne reproduirait pas les séquences ayant abouti au changement de régime en Tunisie et en Égypte. Tirant les conséquences d’une situation militaire qui voit l’armée gouvernementale syrienne reconquérir une à une les zones investies par la rébellion armée, Washington admet qu’il s’agit maintenant d’ouvrir une négociation et reconnaît implicitement le rôle médiateur de Moscou…
Mais, parallèlement, l’équipe de Barack Obama donne son feu vert à des raids israéliens sur la Syrie – au nom de la légitime défense – et ne désavoue pas non plus les monarchies wahhabites qui continuent de financer et d’armer les groupes salafistes ayant juré la mort du régime de Damas. Voilà qui ne va certainement pas hâter l’issue diplomatique de cette guerre régionale. Chacun a désormais compris que celle-ci vise moins l’instauration de la « démocratie » à Damas que le démantèlement de l’Iran et la poursuite de la réalisation du « Grand Moyen-Orient », version Condoleezza Rice.
Mais l’instauration d’un nouvel ordre proche et moyen-oriental à la main de Washington et de Tel-Aviv a urgemment besoin d’une relance d’un « processus », quel qu’il soit, de « paix », quelle qu’elle soit, entre Israéliens et Palestiniens. Accepter un tel simulacre sans avoir préalablement stoppé la poursuite de la construction des colonies en territoires palestiniens occupés relèverait de la mauvaise farce. Mais les États-Unis avec l’aide des pays de l’Union européenne (UE) – qui sont les principaux bailleurs de fonds de l’Autorité palestinienne – n’ont pas renoncé à cette imposture et pourraient, comme ils l’ont souvent fait par le passé, exercer un chantage financier sur la partie palestinienne afin d’offrir au monde un « nouveau processus de paix israélo-palestinien »…
Après deux administrations américaines désastreuses pour la stabilité du monde et l’intelligence humaine, l’élection de Barack Obama, premier président américain de couleur, pouvait apparaître comme une aubaine et susciter quelque espoir… Les belles âmes rivalisaient d’optimisme et l’Obamania s’était emparée du monde. Le changement, c’était maintenant : yes, we can…
Le 5 avril 2009 – au lendemain de son premier sommet UE/États unis qui a suivi son premier sommet de l’Otan à Prague –, Barack Obama s’était immédiatement rendu à Ankara. Il s’agissait de reconquérir l’amitié des Turcs passablement dégradée sous l’ère Bush. En 2003, Ankara avait interdit le passage aux troupes américaines en route vers l’Irak. Il s’agissait aussi de réaffirmer le soutien américain à l’intégration de la Turquie dans une Union européenne version grand marché. Enfin, il fallait conforter Ankara, second contributeur en hommes de l’Otan, pour qu’elle puisse accroître son aide en Afghanistan, accompagner le redéploiement en Irak et mettre à disposition ses ports en eau profonde et sa base aérienne d’Incirlik. On ne savait pas encore que la Turquie constituerait la première tête de pont contre la Syrie…
Le 3 juin 2009, pour son premier séjour au Proche-Orient, Obama choisit l’un des plus fidèles alliés des États-Unis : l’Arabie Saoudite. « Il est très important de venir sur le lieu où l’islam est né », dit-il à l’issue d’un entretien avec le roi Abdallah en ajoutant : « Je suis persuadé qu’en travaillant ensemble, les États-Unis et l’Arabie Saoudite peuvent réaliser des progrès sur toutes les questions d’intérêts communs. » Outre la sécurisation des sites d’exploitation, de raffinage et de stockage du Hasa, la délégation conduite par Obama s’était assuré de la reconduction du Quincy Pact et de plusieurs contrats d’armements et de sécurité, notamment sur les dispositifs radars et satellitaires de surveillance des frontières.
Le 4 juin 2009, Obama était au Caire pour son fameux discours sur l’islam. À l’ombre de l’université Al-Azhar, il veut tourner la page des années Bush, expliquer que Washington et Tel-Aviv restent indéfectiblement liés et que les choix stratégiques des États-Unis restent inchangés.
Comme l’agenda diplomatique de George W Bush, celui d’Obama hiérarchise les mêmes priorités : l’Iran demeure la menace principale – hormis le dossier nucléaire –, il continue de peser sur les trois théâtres afghan, irakien et syrien. Les partenaires stratégiques de Téhéran, à savoir la Syrie, le Hezbollah et le Hamas doivent être neutralisés tant sur les plans opérationnel que politique. Enfin, le simulacre d’un « nouveau processus de paix israélo-palestinien » doit acter la disparition, sinon la digestion finale du droit des Palestiniens à l’autodétermination, revendication historique désormais transformée en simple question sécuritaire de lutte antiterroriste.