Plusieurs options s’offrent à l’armée, désormais détentrice du pouvoir en Egypte. Au scénario connu du « prononciamento » elle pourrait préférer une transition vers une véritable démocratie. Quoi qu’il en soit, les problèmes à résoudre sont nombreux.
La rue égyptienne a finalement eu raison de l’acharnement de Hosni Moubarak. Il a dû quitter son poste et laisser le pouvoir aux mains du Conseil Suprêmes des Forces Armées (CSFA), qui regroupe les chefs des armées de terre, de l’air, de la défense aérienne, de la marine, ainsi les responsables des renseignements militaires. Le vieux Raïs désavoué par la rue et par une grande partie de l'armée a fini par céder, après avoir constaté la défection de son dernier carré de fidèles: la garde républicaine, sur laquelle il comptait pour se maintenir au pouvoir. Dans sa chute, Hosni Moubarak entraîne aussi le vice-président qu’il s’est choisi, le général Omar Suleiman, qui apparaissait aux yeux des manifestants de la Place Tahrir, épicentre du séisme politique qui a frappé l’Egypte, comme l’autre face de la médaille du clan présidentiel déchu. En remettant le pouvoir au CSFA, Moubarak écarte aussi le président de l’Assemblée nationale Fethi Sourour, un constitutionnaliste connu en Egypte pour sa grande servilité au clan présidentiel.
Au delà de l’explosion de joie qui a accueilli le départ de Moubarak, les Egyptiens s’interrogent sur la suite qui sera donné à cet événement historique. Tout dépend de l’orientation que l’armée décidera de donner au mouvement. Si elle décide de confisquer le pouvoir – sous quelque prétexte que ce soit – l’Egypte sera dans le schéma classique d’un « prononciamento » militaire, comme l’Amérique latine en a connu de très nombreux avant la vague de démocratisation qui a balayé la plupart des régimes de ce continent. Si comme elle l’a promis dans son communiqué officiel N-2, l’armée égyptienne décide d’engager sans délai une transition ordonnée vers un gouvernement civil, l’Egypte pourrait alors changer de régime pour entrer dans une ère politique nouvelle en rupture totale avec les trente dernières années.
La « feuille de route » de cette transition doit être axée sur la réforme de la constitution – qui était verrouillée par le parti au pouvoir, au profit de ses candidats aux élections législatives et présidentielle – la nomination d’un gouvernement d’union nationale représentant l’ensemble des partis et courants politique du pays – en particulier les jeunes de la génération facebook – et l’organisation d’élections législatives et présidentielle sous le contrôle du pouvoir judiciaire égyptiens, de représentants des associations de la société civile et, pourquoi pas, d’observateurs internationaux. Il faut rappeler que sous la monarchie, l’Egypte avait connu un régime parlementaire qui avait fonctionné relativement bien, avant que le dernier souverain, le roi Farouk, ne le corrompe de façon criante, sous la pression britannique. La suite, on l’a connaît : la destitution de la monarchie et la prise du pouvoir par l’armée sous la direction des « officiers libres » de Gamal Abdel Nasser.
Quel que soit le régime, il doit faire face aux difficultés immenses que connaît l’Egypte. Le dossier le plus délicat sera de procurer un emploi aux dizaines de milliers de diplômés chômeurs, de résorber le chômage des autres jeunes, d’améliorer les conditions de vie de millions de salariés et de fellahs appauvris ces dernières années. 40 % des Egyptiens vivent au dessous du seuil de pauvreté, avec moins de deux dollars par jour et par tête. C’est à ce prix et en luttant contre les inégalités sociales criantes qui se sont creusées sous le gouvernement précédent, malgré un taux de croissance confortable de l’ordre de 5 % par an pendant plusieurs années, que le nouveau régime rétablira la confiance qui a manqué au clan de Moubarak dans ses rapports avec le peuple égyptien.