Le constat a été établi depuis longtemps : tout au long de la période coloniale, seule la frange littorale de l’Algérie a été développée, hors hydrocarbures. Ce développement a bénéficié en priorité aux colons et à la population européenne qui se sentaient mieux dans leur élément sur le bord méditerranéen que sur les « lointains » hauts plateaux ou dans le Sud profond et désertique.
Ces tendances lourdes se sont encore maintenues trois décennies après l’indépendance. Elles ont été aggravées par l’exode rural, qui a drainé vers ces grandes agglomérations des populations rurales de l’intérieur en quête d’un logement ou d’un emploi, sinon des deux. Pendant ces trente ans, ces populations, désorientées par leurs années d’« endiguement » dans d’infâmes centres de regroupement étroitement surveillés par l’armée française d’occupation, ont pu trouver leur place dans les infrastructures laissées à l’abandon par les populations européennes. Mais la saturation a été vite atteinte. La démographie vivace aidant, le littoral croule de monde et d’activités, alors que l’intérieur, hormis les zones pétrolières, reste sous-peuplé, à la recherche d’un capital humain pour le développer. Un déséquilibre criant : plus de 80 % de la population algérienne (36 millions d’habitants) est concentrée sur moins de 20 % du territoire, mince et fragile frange qui abritait par ailleurs les meilleures terres agricoles. Grignotées d’année en année par l’urbanisation galopante, elles se rétrécissent comme peau de chagrin.
L’objectif assigné au plan d’aménagement du territoire mis en application depuis plus de deux ans – et qui devrait atteindre ses objectifs en 2025 – est de rétablir au moins partiellement l’équilibre. Il s’agit d’installer de plus en plus d’activités dans les zones désertifiées pour les rendre attractives et les repeupler. Ce plan s’articule notamment sur deux programmes très ambitieux dédiés aux Hauts Plateaux et au Grand Sud, avec des enveloppes financières importantes, d’un montant initial de plus de 60 milliards d’euros. Deux projets phares, en plus des programmes annexes, s’y greffent : la construction d’une autoroute de plus 1 000 km sur les hauts plateaux, parallèle au mégaprojet, pratiquement achevé, de l’autoroute du littoral qui relie dorénavant non-stop la frontière marocaine à la frontière tunisienne. Et la réhabilitation de la fameuse « Transsaharienne » reliant Alger au-delà de Tamanrasset, construite dans les années 1970 par les jeunes appelés du service national. Ils avaient à cette occasion consenti le tribut de la sueur après que leurs aînés eurent payé le tribut du sang pour la libération du pays.
En augmentant l’attractivité de ces territoires, qui ne faisaient pas partie de « l’Algérie utile » dans la vision coloniale, en y développant l’agriculture et en y implantant des activités industrielles et de service, les autorités espèrent fixer les rares populations qui y vivent encore, et mieux, sans doute, inverser au moins partiellement le flux de l’exode.
Parmi les mesures arrêtées pour transférer des activités vers ces zones arides ou semi-arides afin de les revivifier ou de leur redonner vie, figure la création de plusieurs pôles de compétitivité conçus et dimensionnés dans une optique de développement régional. Ils seront adossés à un réseau d’universités, de laboratoires et de centres de recherche. L’ensemble devrait bénéficier du nouvel élan de réindustrialisation entamé par les autorités après des années de désindustrialisation dans les années 1980-1990, qui ont sans doute entravé l’aménagement du territoire.
Ces pôles spécialisés sont en train d’être installés autour des nouvelles villes de Sidi Abdellah au centre du pays, Boughezoul sur les Hauts-Plateaux, et Hassi Messaoud, poumon pétrolier de l’Algérie dans le Grand Sud. Une nouvelle ville sera d’ailleurs érigée à Hassi Messaoud, non loin de l’ancienne ville-dortoir, aujourd’hui surpeuplée et peu attrayante, pour, espèrent ses concepteurs, accueillir le maximum de pétroliers et leurs familles dans des ensembles agréables à vivre, dotés de toutes les commodités et superbement équipés. Projet emblématique de la volonté du pouvoir de décongestionner le littoral, la nouvelle ville de Boughezoul devrait accueillir, une fois achevée, trois millions d’habitants. Les conditions de confort devraient inciter pas mal de sceptiques des zones côtières à tenter « l’aventure ». En effet, les 350 000 logements qui y sont implantés au milieu d’espaces verts agrémentés d’un lac en zone aride bénéficieront d’équipements éducatifs, hospitaliers, sportifs, culturels, administratifs, en plus des infrastructures commerciales, touristiques et industrielles.
Si, sous la contrainte des urgences qui se sont imposées comme autant de priorités nationales dans les années 1970-1990, les autorités ont mis du temps pour s’inquiéter de la dégradation de l’environnement, elles ont décidé de prendre le sujet à bras le corps. Lors de ses récentes tournées à travers le pays, le premier ministre Abdelmalek Sellal n’a cessé d’insister sur la nécessité d’améliorer le cadre de vie des Algériens et de leur construire des cités conviviales, au lieu des cités-casernes et des cités-dortoirs qui ont proliféré – là aussi l’urgence a fait loi – à l’orée des villes comptant parmi les plus belles de la Méditerranée.
La feuille de route de la nouvelle ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, Dalila Boudjemâa, est chargée. Femme de terrain, elle a fait toute sa carrière dans l’environnement, accédant à son premier poste ministériel par la voie professionnelle, sans rien devoir aux partis. Après des débuts au sein de l’Agence pour la protection de l’environnement (ANPE, créée en 1985, mais dissoute en 1994), elle a été, pendant une dizaine d’années, directrice générale de l’environnement. Ses collaborateurs et ses amis disent qu’elle « la femme qu’il faut à la place qu’il faut ». Elle doit relever un défi immense et agir vite pour rattraper le retard accumulé. En même temps, elle doit veiller au respect du cadastre du littoral, qui continue à subir des agressions malgré sa fragilité, et mettre un coup d’arrêt à la prolifération des décharges publiques à ciel ouvert, plaie ouverte de l’environnement en Algérie. L’une des plus grandes décharges de ce type dans le pays, celle de Oued Smar, près d’Alger, ne cesse depuis des décennies d’empester l’atmosphère de la capitale de ses fumées âcres. Elle devrait être rapidement transformée en vaste jardin public.
Un premier plan de création de soixante-dix centres d’enfouissement de déchets ménagers ultimes est par ailleurs en cours de réalisation, en étroite coopération avec les autorités communales et régionales, qu’il faut sensibiliser tout autant que le simple citoyen à la nécessité de préserver l’environnement et les paysages. Mais l’Algérie devrait aussi s’orienter rapidement vers l’économie de recyclage qui, outre la création d’emplois, représente une richesse – de « l’or en barre », selon l’expression consacrée – qu’il serait impensable d’ignorer.