En cette mémorable journée du 15 juin, le grand auditorium de l’Unesco a vibré intensément au rythme du concert organisé par l’association Uniâme, en hommage aux chibanis (« cheveux blancs », en arabe dialectal). Ce vocable, expression à la fois affectueuse et respectueuse, désigne ces travailleurs immigrés algériens arrivés en France pendant les trente glorieuses (1945-1975), et qui ont mis toute leur force de travail au service de la France, en participant largement à son développement économique.
Le gala a été animé par le prestigieux orchestre de musique chaâbi El Gusto, composé de musiciens juifs et musulmans d’Algérie. Ils ont été les élèves du grand maître de musique populaire El Hadj M’hammed el-Anka au conservatoire d’Alger, il y a plus de cinquante ans, et séparés par l’histoire et la guerre d’indépendance de l’Algérie. Les membres encore vivants de cet orchestre se sont réunis un demi-siècle après une fabuleuse épopée, retracée dans le film El Gusto, réalisé par la jeune cinéaste algéro-irlandaise, Safinez Bousbia.
Cette soirée n’était pas seulement un hymne à la musique chaâbi, genre musical né dans les rues d’Alger au début du xxe siècle, et surnommée « le blues de la Casbah ». Il consacrait également d’émouvantes retrouvailles entre ces musiciens des deux rives de la Méditerranée séparés par les vicissitudes d’une histoire, forgée dans la douleur de l’exil et du déracinement.
Pour Nadia Chouikhi, présidente de l’association Uniâme, le but de cet heureux évènement est d’« honorer, au soir de leur vie, et après plusieurs années de dur labeur et d’exil, ces travailleurs immigrés qui ont participé courageusement à redresser l’économie de la France, et inviter tous les amis de l’Algérie à sceller la réconciliation ».
Plusieurs personnalités étaient présentes et pas des moindres, dont El Hadj Mohammed Tahar Fergani, le rossignol algérien du malouf, cette tradition musicale arabo-andalouse, ou encore l’écrivain Yasmina Khadra, pour ne citer que ceux-là. Ils sont venus remettre des médailles à ces chibanis qui ont relaté avec émotion et une poignante humilité la douleur d’avoir quitté leur terre natale, ainsi que l’éreintement de plusieurs années de souffrances et de sacrifices. Des décorations symboliques ont aussi été remises aux amis de l’Algérie qui ont toujours eu « le cœur » suspendu entre les deux rives de la Méditerranée.
Durant cette soirée mémorable, les musiciens ont partagé leur passion, qui ne les a jamais quittés, leur joie de vivre et leur extraordinaire talent, dans une parfaite symbiose, devant un public conquis. Ils ont gratifié les nombreux spectateurs d’un beau florilège de chansons des plus grands maîtres de la musique chaâbi, qui ont ravivé les souvenirs et rappelé une richesse culturelle diverse. Des salves de youyous rappelant ceux des femmes de la Casbah d’antan ont fait vibrer la salle durant toute la soirée.
Plus de mille personnes ont répondu à cette invitation musicale colorée, dans une ambiance chaleureuse de fraternité retrouvée, et ont salué la fin du spectacle par une formidable ovation.
En cette année de célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance, cet évènement s’est imposé de lui-même pour permettre à l’Algérie de renouer avec les pans dispersés de sa mémoire et de se réconcilier avec son passé et son histoire, dans un pays résolument tournée vers l’avenir.