Pseudo-partenariat. Depuis cinq ans, l’Algérie subit les effets dévastateurs d’un échange inégal avec l’Union européenne. L’accord d’association revient sur la table des négociations le 15 juin.
La clause de renégociation insérée dans l’accord d’association algéro-européen, entré en vigueur en 2005, prévoit sa révision partielle à la faveur d’une évaluation des échanges commerciaux durant la période. C’est ainsi que l’entend le directeur de la région Proche et Moyen-Orient, et Sud Méditerranée de l’Union européenne (UE), Tomas Dupla del Moral, qui a d’emblée écarté une remise à plat de l’accord. « Nous avons une clause de rendez-vous en 2010, mais les deux parties ne vont certainement pas tout revoir », avait-il prédit lors d’une mission préparatoire à Alger, au début de l’année. Dans son approche, il s’agirait seulement de revoir les clauses de l’accord mises à mal par les dispositions édictées par Alger à l’encontre des sociétés étrangères, dans la loi de finances complémentaires de 2009, reconduites en 2010. Pour le responsable de l’UE, ces dispositions – qui visent la sauvegarde d’un marché algérien envahi de produits importés à la faveur d’une ouverture incontrôlée, et le redémarrage de la production nationale – auraient été prises « en dehors » de l’accord. Plus clairement, Dupla del Moral accuse Alger de « violation » de l’accord. Il adopte ainsi la posture avantageuse de « victime » cherchant réparation, en balayant d’un revers de main l’argumentaire algérien sur le caractère inégal des échanges établis en 2005.
Conditions imposées
Enfonçant plus profond encore le clou de la « culpabilisation » de l’Algérie, l’ambassadrice de l’UE, Laura Baeza, a déclaré tout récemment devant les députés algériens que, malgré sa bonne volonté, elle « comprenait mal » les demandes algériennes. « J’ai l’impression que nous sommes en train de parler d’une chose que l’Union européenne a imposée à l’Algérie. Il y a une part du discours algérien à propos de l’accord d’association que je n’arrive pas à comprendre, et pourtant je m’y emploie. Ce pays a pourtant une élite très intelligente. Ce qu’elle dit a un sens. J’essaie donc d’aller au-delà des mots pour voir ce que sont les intérêts concrets de l’Algérie et s’ils sont bien servis par l’accord. »
En réalité, Laura Baeza néglige au moins une donnée fondamentale, politique et psychologique : l’accord avait été négocié à l’orée des années 2000, lorsque l’Algérie, aux prises avec le terrorisme, cherchait à rompre son isolement sur la scène internationale. Elle était prête à en payer le prix. Ce qui n’a pas échappé aux négociateurs de l’UE. Sentant la légitime impatience de leurs interlocuteurs, ils ont agi dans une perspective de court terme et tiré profit des circonstances en imposant leurs conditions. D’un point de vue commercial, c’était sans doute de bonne guerre. Mais, politiquement, ce fut une faute, eu égard, d’une part, aux options communes de lutte contre le terrorisme publiquement proclamées, et, d’autre part, à la politique de « bon voisinage » prônée par l’UE. C’est cette faute qu’il s’agit désormais de réparer.
Alger, qui n’a rien laissé filtrer sur sa stratégie de renégociation, souhaite, selon toute vraisemblance, que l’ouvrage soit remis en entier sur le métier. Le bilan de cinq années de « partenariat » biaisé ne plaide pas en tout cas en faveur d’une révision partielle. C’est tout l’équilibre du document qu’il faut revoir. Depuis l’entrée en vigueur de l’accord, les exportations européennes vers l’Algérie ont explosé, relève ainsi le ministre des Finances Karim Djoudi, qui tient les cordons de la bourse et les comptes à jour. De 8 milliards d’euros, elles sont passées à 14 milliards d’euros, progressant ainsi de 80 %.
Normes sévères
Certes, durant la période, Alger a mis en œuvre deux programmes de relance de son économie (300 milliards de dollars d’investissements publics) qui ont nécessité des importations massives de biens d’équipement. Mais les petites et moyennes entreprises (PME) européennes commerciales ont aussi bien profité du démantèlement des tarifs douaniers algériens, pour prendre pied sur le marché des produits de consommation durable. Les PME algériennes, elles, agressivement attaquées sur leur propre terrain, n’ont pas bénéficié des mêmes facilités sur le marché européen. Pour Karim Djoudi, l’écart est d’au moins deux milliards d’euros, sans parler du manque à gagner pour l’État du fait de la baisse, sinon de la suppression des droits douaniers sur les produits expédiés par l’UE. Le directeur du commerce extérieur algérien et principal négociateur, Chérif Zaaf, estime pour sa part que, pour « un dollar exporté vers l’UE, l’Algérie importe pour 20 euros. » On ne saurait mieux illustrer l’inégalité des échanges.
« Le démantèlement tarifaire et les facilités d’exportation octroyées aux PME européennes sur le marché algérien ont joué contre l’économie algérienne, qui est la grande perdante de l’accord », soulignent sans détour les députés algériens. Certains proposent la sortie pure et simple de l’accord. Mais pour les technocrates de Bruxelles, la faute en revient à Alger qui ne dispose pas, hors des hydrocarbures, de produits industriels pouvant passer la barrière des normes européennes. Des normes jugées « très sévères » par le ministre algérien du Commerce, Hachemi Djaaboub. « Nous allons voir dans quelle mesure nous pouvons réviser les clauses de l’accord pour qu’il soit plus équitable, car nous y avons constaté des anomalies », a-t-il avancé prudemment devant les députés, très remontés contre les instances de Bruxelles.
L’affaire risque de se corser avec l’arrivée attendue sur la table de négociations du volet des services (assurances, banques, études, etc.) et, surtout, du volet agricole (produits agricoles frais, produits agricoles transformés, produits de la pêche) à partir de septembre. Le ministre algérien de l’Agriculture, Rachid Benaïssa, qui reste discret sur les revendications algériennes dans ce domaine, souligne : « Il est clair que l’amélioration de la production et la sécurité alimentaire sont intimement liées à la souveraineté nationale. » Pour sa part, Dupla del Moral a prévenu que les conditions d’accès des produits agricoles étrangers sur le marché européen sont strictes. Elles portent sur la compétitivité des produits (prix bas) et le respect des normes techniques et sanitaires. « Le marché européen est exigeant, il faudra s’y adapter », a-t-il dit.
Des investissements insuffisants
Dans le « paquet », figure aussi la question lancinante de la circulation des personnes, un sujet conflictuel s’il en est. Car si des efforts ont été faits pour octroyer des visas Schengen de longue durée aux Algériens, la soudaine décision de Paris d’inscrire Alger sur une « liste noire », dite antiterroriste, a jeté un froid des deux côtés de la Méditerranée. Bruxelles semble vouloir lier deux choses différentes : un accord de libre circulation aurait pour pendant un accord de réadmission des ressortissants algériens en instance d’expulsion des territoires européens. Or, aux yeux d’Alger, les deux dossiers doivent rester séparés.
Autre point noir de ce partenariat laborieux : les investissements européens n’ont pas été à la hauteur des enjeux de ré-industrialisation de l’Algérie. Pourtant Alger, durant toute la période écoulée, avait fait de l’attraction des investissements directs étrangers (IDE) un axe stratégique de sa relance. Pour se dédouaner, les Européens affirment qu’ils ne peuvent rien imposer aux entreprises privées en la matière, ce qui est à moitié vrai, car Bruxelles dispose bien de leviers pour convaincre ses opérateurs de s’installer ici ou là. Aux yeux d’Alger, le peu d’empressement, sinon la mollesse de l’UE – « la décision revient aux entreprises privées et non aux institutions », a dit abruptement Dupla del Moral – relève d’une discrimination à son égard qui ne dit pas son nom.
Depuis, la donne a changé. Les Algériens ont en effet modifié les conditions d’investissement sur leur territoire pour les étrangers, qui se sont vu imposer des partenaires locaux à hauteur de 49 % ou de 51 % au moins dans le capital, selon la nature de l’activité. Ils doivent aussi présenter une « balance devise équilibrée » et s’adresser aux banques locales pour leur financement. Le réveil de Bruxelles n’en fut que plus brutal. C’est un atout supplémentaire pour les négociateurs algériens. Ils savaient déjà de la bouche de Dupla del Moral que leur pays était « un partenaire important pour l’UE au niveau de l’Afrique du Nord, de l’Afrique, du monde arabe et des Nations unies » et qu’il disposait d’une ressource rare et stratégique : le gaz, qui permettra à l’Europe de desserrer l’étau russe.