Sous couvert de lutte antiterroriste, l’Élysée semble vouloir reprendre pied au Sahara, pour son compte ou celui de tiers. Quitte à rendre la tâche plus ardue pour les pays de la région.
Est-ce la Mauritanie qui a pris l’initiative, ou Paris qui lui a forcé la main en plein été ? Toujours est-il qu’elle a engagé son armée dans un raid incertain contre un groupe d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) détenant un otage français, Michel Germaneau, un humanitaire de 78 ans, kidnappé au Niger en avril et transféré entre-temps au Mali, base arrière de cette organisation terroriste du Sahel. Officiellement, Nouakchott affirme qu’il s’agissait d’une action préventive entreprise de son propre chef pour faire avorter une attaque « d’envergure » que préparait AQMI contre le poste frontalier de Boussikounou, faisant partie de la nouvelle ceinture de défense dressée depuis peu aux confins sénégalais et maliens pour contrer la menace terroriste. Dans cette expédition en territoire malien, l’armée mauritanienne n’aurait ainsi bénéficié que d’un soutien logistique et technique de l’armée française – dont une section spécialisée est depuis quelques mois sur place pour former des unités mauritaniennes à la lutte anti-terroriste.
Paravent mauritanien
Paris aurait décidé de s’associer à l’opération mauritanienne sur la foi d’informations recueillies par le renseignement militaire français selon lesquelles Michel Germaneau se trouvait dans la zone ciblée par l’attaque. Elle estimait qu’il était possible de libérer l’otage avant l’expiration de l’ultimatum fixé au 26 juillet par son geôlier, le chef terroriste Abou Zeid, pour l’exécuter, si ses revendications portant sur la libération de plusieurs membres d’AQMI, dont Omar Sahraoui, n’étaient pas satisfaites.
Les Français savaient qu’il ne s’agissait pas de menaces en l’air. Abou Zeid, décrit comme un homme « violent et brutal », a déjà exécuté un touriste britannique, Edwin Dyer, six mois après son enlèvement en juin 2009, faute d’avoir obtenu gain de cause auprès de Londres. Mais ils ne pouvaient ignorer non plus qu’un coup de force raté contre les terroristes aboutirait au même résultat : la mort de l’otage. Madrid a mis 8?millions d’euros sur la table pour obtenir la libération de deux touristes espagnols, Albert Vilalta, 35 ans, et Roque Pacual, 50 ans.
De son vrai nom Hamadou Abid, Abou Zeid, 44 ans, émir de la katiba Tareq Ibnou Zyad, est à l’origine de la plupart des enlèvements perpétrés au Sahel ces dernières années. Traqué par l’armée algérienne, il s’est installé au nord du Mali, où il s’est allié à des groupes touaregs et bénéfice d’une grande liberté de mouvement. Il est candidat à la succession d’Abdelmalek Droukdal – alias Abou Moussab Abdelwadoud, émir de l’AQMI, que l’on dit en perte de vitesse.
La version officielle du raid franco-mauritanien tient mal la route. Elle suppose une convergence quasi miraculeuse dans le temps des objectifs de Paris et de Nouakchott, le premier cherchant à libérer l’otage français – dont le sort était l’objet d’une « brûlante inquiétude » à l’Élysée, selon l’expression du président Nicolas Sarkozy – alors que le second voulait prévenir une « attaque massive » des terroristes contre son territoire.
De l’avis de nombreux experts, il est rare que deux objectifs aux enjeux si divergents se rejoignent aussi bien dans ce type d’opération à risque, mettant en balance la vie d’un homme. Celui-ci, quelques semaines auparavant, dans une vidéo diffusée par ses geôliers, faisait part de son « espoir qu’une bonne solution » serait trouvée par Nicolas Sarkozy pour le sortir du guêpier.
Il semble plus probable qu’après la mort de l’otage français, dans des conditions qui restent encore à déterminer, Paris ait préféré dissimuler le double échec (opérationnel et du renseignement) du raid aventureux en se cachant derrière le paravent mauritanien pour en atténuer les fâcheuses conséquences sur l’opinion française. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la France essuie un échec aussi cuisant en Mauritanie. En 2008, les forces spéciales françaises avaient investi en vain en plein centre de Nouakchott un bâtiment où elles pensaient mettre la main sur les auteurs de l’assassinat, en décembre 2007, de deux touristes français. En 2009, Paris avait dû recourir à une diplomatie musclée auprès du Mali pour obtenir, au grand dam de l’Algérie et de la Mauritanie, la libération d’un autre otage français Pierre Camatte – membre lui aussi d’une ONG humanitaire – contre celle de quatre terroristes d’AQMI.
Depuis, l’Union africaine (UA) a décidé de « criminaliser » tout paiement de rançon aux groupes terroristes contre la libération de leurs otages. Elle envisage de faire inscrire ce point à l’ordre du jour de la prochaine Assemblée générale des Nations unies en vue d’en faire une loi s’imposant à la communauté internationale dans son ensemble.
Maladresse ou impatience, l’opération française aura démontré l’empressement de l’Élysée à vouloir, sous prétexte de guerre contre antiterroriste, reprendre pied au Sahara pour son propre compte ou le compte d’autrui, en l’occurrence les États-Unis dont les efforts d’implanter au Sahel une base militaire et l’Africom (le commandement des forces américaines en Afrique) se sont heurtés jusque-là au refus obstiné des pays de la région. Ces derniers, avec pour chef de file l’Algérie, estiment que la sécurité au Sahel – devenu une zone repli et de rapines pour les groupes terroristes pourchassés dans leur propre pays – doit incomber au premier chef aux pays concernés et à l’UA. Les puissances étrangères au continent sont appelées à apporter leur soutien aux mécanismes de coopération adoptés au niveau régional.
L’expérience algélrienne
En s’engageant seul, Paris n’a fait que compliquer une lutte déjà suffisamment complexe, qui requiert une connaissance fine du terrain et des hommes que les militaires français, même aidés par les Mauritaniens, sont loin d’avoir. Forte d’une longue expérience dans la traque du terrorisme depuis le début des années 1990, Alger a marqué bien des points dans cette lutte sans merci. Dans un récent rapport, Washington a reconnu qu’AQMI ne représente plus une grande menace pour l’Algérie au nord. « Les succès de la lutte antiterroriste des services de sécurité algériens, combinés au refus du terrorisme exprimé par les populations, semblent avoir réduit l’efficacité d’Al-Qaïda au Maghreb », lit-on dans ce document du Département d’État. Plus de 1 300 terroristes ont été tués depuis 2006 et des centaines d’autres se sont rendues aux autorités. La même détermination d’éradiquer les groupes terroristes cantonnés dans les massifs du centre du pays (Kabylie) ou réfugiés au-delà des frontières sahariennes, a été récemment exprimée par le chef d’état-major algérien, le général d’armée Salah Gaïd. Il s’agit, a-t-il dit, en présence du chef de l’État Abdelaziz Bouteflika, de « parachever la mission assignée » par le pouvoir à l’armée nationale.