L’Algérie a une longue expérience contrastée avec le Fonds monétaire international (FMI). Elle est marquée par l’entraide lorsque les temps sont durs pour l’un ou pour l’autre, mais aussi par l’électrochoc imposé par l’institution financière internationale à l’orée des années 1990, lorsque les prix du pétrole ont brusquement chuté, vidant les caisses de l’État.
Le remède de cheval administré alors par le FMI à l’Algérie s’est traduit par le démantèlement de l’appareil industriel algérien en plein élan, la mise au chômage de milliers de salariés formés à prix d’or pour le servir, le départ à l’étranger de centaines de gestionnaires, une inflation galopante, le recul du pouvoir d’achat et une compression des subventions aux produits de première nécessité servies aux plus démunis. L’essentiel des revenus du pays a fini par être accaparé par le remboursement de la dette extérieure qui avait connu des pics vertigineux, alors que la couverture des importations se réduisait comme peau de chagrin.
L’épisode douloureux pour les Algériens, provoqué par l’insouciance et la suffisance des gestionnaires d’alors qui n’avaient rien vu venir de la crise pétrolière, a été traité sans états d’âme et avec peu de circonstances atténuantes par les fonctionnaires de l’institution qui ont appliqué mécaniquement des recettes toutes faites. L’Algérie en a retenu une leçon majeure : quel que soit l’angle sous lequel on l’envisage, l’endettement induit nécessairement une perte de souveraineté et d’indépendance. Il est générateur de plus pauvreté et n’apporte aucune solution durable aux problèmes économiques de fond. Ces conclusions, qui n’étaient pas évidentes aux yeux de tous, ont mis du temps à faire leur chemin, y compris sur le plan international.
Dans les années 1980, l’endettement était en effet célébré par les tenants de l’économie libérale, qui occupaient le devant de la scène, comme un instrument de croissance indépassable. Les banques, qui avaient le vent en poupe et d’énormes liquidités à placer, s’en donnaient à cœur joie, en particulier auprès des pays en développement subjugués par les facilités qui leur étaient consenties presque sur une simple signature. Les marchés financiers internationaux installaient méthodiquement et progressivement leur stratégie de financiarisation galopante de l’économie internationale, privilégiant le virtuel (la spéculation sous toutes ses formes) sur le réel (la production et toutes ses contraintes), avec les conséquences que l’on a vues se généraliser depuis peu. Mais le temps des bulles de tous ordres n’allait pas tarder à venir, sonnant le glas de beaucoup d’illusions. La descente aux enfers suivra de peu, entraînant en premier lieu les plus fragiles.
Dès qu’il est arrivé au pouvoir en 1999, le président Abdelaziz Bouteflika s’était donné un objectif : désendetter l’Algérie pour recouvrer les pans de souveraineté cédés par ses prédécesseurs aux créanciers internationaux. Pour assurer « l’ordinaire » du pays, il fallait négocier avec eux au jour le jour, dans des confrontations pénibles. Le mot d’ordre du président était : ne plus jamais passer sous fourches caudines du FMI et ses conditionnalités politiquement humiliantes. Il y a réussi au-delà de toute prévision : l’Algérie, qui devait en même temps financer des investissements colossaux de remise à niveau des infrastructures, a non seulement effacé ses dettes extérieures (le résidu est insignifiant), mais elle se présente comme un pays excédentaire, avec des réserves de change au top, en progression constante depuis plusieurs années : plus de 190 milliards de dollars à la fin de 2012, et un fonds de régulation des recettes confortablement adossé à la fiscalité pétrolière du pays. Alors que dans les années 1990, le directeur général en exercice du FMI – père Fouettard de l’économie mondiale – débarquait en Algérie en créancier pointilleux sur les dépenses de l’État, Christine Lagarde, qui a pris le relais de Dominique Strauss Khan à la tête du FMI il y a un an, est arrivée quasiment en « débitrice ».
Sollicitée pour ses bonnes performances macroéconomiques et ses confortables réserves, l’Algérie a accordé au FMI, qui était à la recherche de ressources nouvelles pour faire face à ses obligations vis-à-vis des pays surendettés (Grèce, Espagne, Italie, Irlande), un prêt de 5 milliards de dollars sous forme de titres libellés en droits de tirage spéciaux (DTS). Cette contribution à la résolution de la crise des dettes souveraines dans le monde l’a fait entrer dans le club des créanciers de l’institution financière – dont elle est membre depuis son indépendance. L’emprunt international lancé par le FMI lui a permis de collecter 460 milliards de dollars, qui n’auraient toujours pas été utilisés selon Christine Lagarde. Aussi a-t-elle d’emblée rassuré ses interlocuteurs : « Je ne suis pas venue solliciter un deuxième prêt, mais remercier les autorités algériennes pour le prêt qu’elles ont accordé au FMI, et qui témoigne d’une bonne gestion de leurs réserves de change. C’est un acte de souveraineté fort vis-à-vis des autres partenaires et un choix judicieux. Les prêts consentis au FMI étant comptabilisés comme des réserves nationales, l’Algérie dispose donc de ces 5 milliards de dollars auprès de l’institution. Ce prêt n’est pas un don, il génère des intérêts. Le FMI a accueilli avec beaucoup de gratitude et de reconnaissance cette manifestation de souveraineté et cette force financière du pays. ». Elle a ainsi balayé d’un revers de main la vaine polémique qui a suivi la décision d’Alger sur la nature et le rendement du prêt consenti.
Christine Lagarde s’est félicitée du partenariat établi avec Alger – « un partenaire crédible » et a souligné que, dans un contexte économique international morose, l’Algérie a « réalisé de bonnes performances » et « a bien tiré son épingle du jeu », avec des indicateurs et un potentiel qui l’autorisent à tirer sa croissance vers le haut. « L’Algérie est sur la bonne trajectoire. Elle peut mieux faire », a-t-elle martelé en forme d’encouragement au train de réformes engagées ces dernières années dans les tous les domaines. Ses observations quant aux efforts qui restent à consentir recoupent les analyses algériennes : réduire la dépendance à l’égard des hydrocarbures, encourager la production d’énergie non fossile (solaire et autres énergies renouvelables), relancer l’agriculture et l’agroalimentaire, fortifier les services, etc. La directrice du FMI a mis par ailleurs en garde contre le surendettement des ménages à travers le crédit à la consommation, dont certains voudraient rouvrir les vannes.
Alger ne pouvait que souscrire aussi à cette remarque synthétique de Christine Lagarde : « Je garde en tête trois chiffres : le secteur des hydrocarbures pèse un peu moins de 40 % du produit intérieur brut algérien, correspond à 98 % des exportations et occupe 2 % de la population en termes d’emploi. C’est très bien, mais ce n’est pas forcément durable. Il faut donc impérativement que l’Algérie puisse développer en parallèle d’autres sources de croissance, qui, peut-être pas aujourd’hui ou demain, prendront le relais d’un secteur des hydrocarbures qui ne représentera plus la quasi-totalité des exportations. » Le FMI est prêt à soutenir l’Algérie dans ses efforts, a-t-elle lancé, en acceptant que le pays puisse choisir son rythme.
Ce partenariat « profond et fécond » – selon les termes de Christine Lagarde – que le FMI veut poursuivre avec l’Algérie a été au centre du long entretien que lui a accordé le premier ministre Abdelmalelk Sellal, en présence du ministre des Finances, Karim Djoudi, cheville ouvrière des réformes impulsées par le chef de l’État. Il a été notamment question d’examiner de nouvelles pistes pouvant contribuer à l’amélioration de la gouvernance économique et une plus grande rationalisation de l’action des services publics – deux missions qui figurent sur la feuille de route du nouveau gouvernement.
La visite de Christine Lagarde avait été précédée d’excellentes nouvelles sur la santé de l’économie algérienne, qui a dépassé la phase de convalescence pour amorcer son redressement, grâce à la mise à niveau des infrastructures de base et à l’élargissement de l’offre d’emploi en faveur des jeunes. L’Algérie pourrait réaliser une croissance de 6 % à moyen terme, contre 2,4 % en 2012, et ramener son taux de chômage à 5 %, contre 10 % actuellement, selon Zeine Ould Zeidane, expert du FMI, conseiller au département Moyen-Orient et Asie centrale. Il intervenait lors d’une conférence sur « la croissance et l’emploi en Algérie ».
« Vu la taille de son marché, celle de sa population (35 millions d’habitants), et ses disponibilités financières (solides réserves de change), l’Algérie dispose d’un grand potentiel de croissance, notamment dans les secteurs de l’agriculture, de la pétrochimie, de la pharmacie, du tourisme, des technologies de l’information et de la communication et les services en général », selon Ould Zeidane. Il a précisé : « L’Algérie est l’un des rares pays de la région dont la gestion macroéconomique saine a permis le renforcement de la stabilité économique, faisant de lui un pays très peu vulnérable par rapport aux autres pays de la région », en soulignant « l’efficacité de la politique monétaire, qui a conduit à une inflation maîtrisée et à un taux de change équilibré ». Il a toutefois assorti ces bonnes perspectives de conditions de réalisation qui reviennent régulièrement dans les recommandations du couple FMI-Banque mondiale : réduire la rigidité du marché du travail, mettre la formation en adéquation avec l’emploi et travailler sur une croissance hors hydrocarbures. Il est vrai que le chômage des jeunes est plus élevé que la moyenne nationale (20,4 %), et celui des diplômés de l’enseignement supérieur, en net recul ces dernières années, reste préoccupant, à 15,2 %.
Dans la même veine que le FMI, Ould Zeidane s’en est pris en même temps à la règle du 51/49 instaurée en 2010 pour encadrer l’investissement étranger et aux restrictions imposées au crédit à la consommation afin de contenir les importations. Il a aussi appelé à l’assainissement du climat des affaires et à combattre le marché informel depuis ses sources. Deux tartes à la crème des solutions FMI.
Ces satisfécits ne sont pas passés inaperçus. Ils ont fait grincer des dents dans les cercles libéraux, qui se sont empressés de brandir le dernier rapport de Doing Business 2013 de la Banque mondiale, soulignant le recul de l’Algérie en matière de climat des affaires. Il faut être dupe des enjeux de la mondialisation libérale pour croire que les analyses de Doing Business sont de quelque façon que ce soit neutres. Ce rapport, scruté à la loupe comme le thermomètre infaillible de la santé économique d’un pays, s’inscrit dans la démarche affirmée de la Banque mondiale et du FMI : ouverture de plus en plus large des marchés, privatisation des entreprises publiques en faveur des plus offrants, réduction, sinon suppression pure et simple, des subventions des produits de première nécessité bénéficiant aux plus pauvres, etc. Ce que les auteurs du rapport appellent « dé-bureaucratisation », ne fait que traduire leur engagement à déréglementer à tour de bras pour faire reculer l’État le plus loin possible des marchés et confier ses missions aux acteurs privés, seuls garants, selon eux, de l’efficience économique.
Un expert de la Banque mondiale, Laurent Gonnet, a expliqué la démarche de cette institution dans ce domaine et ses limites. « Notre rôle en tant qu’experts est d’abaisser certaines barrières réglementaires, mais aussi de veiller à tout améliorer de manière plus large et systématique. Il faut qu’il y ait une bonne concertation et une interaction avec le secteur privé afin que nous soyons sûrs d’avoir bien compris les lacunes qui existent », a-t-il dit. Concernant les limites de l’analyse, il a reconnu que les critères pris en compte par la Banque mondiale, centrés sur le monde de financement, restaient « imparfaits », car ignorant par exemple les ressources humaines. Dans le rapport 2013, on apprend en vrac que l’Algérie a reculé de quelques rangs pour les facilités accordées à l’investissement privé étranger, la création d’entreprises, l’octroi du crédit. Il est vrai que plusieurs observations de ce rapport sonnent juste, comme la prédominance de la sphère informelle, qui reste un problème préoccupant. Mais il n’en reste pas moins que c’est un plaidoyer à charge passant sous silence les efforts consentis par les autorités pour améliorer ce « climat des affaires ». Même si, sur le fond, elles ne souscrivent pas totalement au libéralisme débridé qui sous-tend ses analyses.
Engagées dans une relance coûteuse – plus de 600 milliards de dollars sur quinze ans – pour remettre à niveau les infrastructures de base du pays, les autorités algériennes demeurent attentives à la lutte contre la précarité sociale et au maintien d’un haut niveau de scolarité (primaire, secondaire, universitaire) et de santé appréciable en faveur de la majorité de la population.
Récemment, au cours d’une cérémonie d’installation d’un comité chargé de l’amélioration du climat des affaires, le ministre de l’Industrie, Chérif Rahmani, s’est montré ouvert aux recommandations de ce rapport. Il faut donner à chacun la chance d’investir dans les activités productives du pays, en facilitant les procédures d’investissement, a-t-il annoncé en substance. Il s’adressait aux représentants des ministères en charge de la Promotion de l’investissement, notamment l’Industrie, les Finances, l’Habitat et le Commerce, ainsi qu’aux représentants du corps diplomatique et des organisations patronales et professionnelles. La décision de créer un comité dédié à cette question « traduit la volonté du gouvernement d’institutionnaliser la concertation à l’effet d’améliorer rapidement et durablement l’environnement des affaires en Algérie », a-t-il souligné. Expliquant : « La volonté du gouvernement d’engager des réformes des procédures administratives en vue de simplifier l’acte d’entreprendre » s’inscrit dans une logique d’action qui vise à assurer un impact immédiat des réformes sur la vie de l’entrepreneur et de l’investisseur.
Le comité, présidé par un responsable du ministère de l’Industrie, est constitué des représentants des principaux organismes dont l’action a un impact direct sur le climat des affaires. Il doit s’attacher, dans une approche intégrée, à renforcer la coordination interministérielle pour impulser les réformes à caractère juridique et institutionnel indispensables à l’amélioration du climat des affaires. Il lui reviendra aussi de piloter le changement et de communiquer sur les progrès accomplis en matière de facilitation des procédures liées aux affaires. Un programme d’action pour 2013-2014 doit être établi pour créer les meilleures conditions de développement de l’entrepreneuriat et de l’investissement. « Le gouvernement est décidé à créer les conditions d’une facilitation de l’acte d’investir. L’objectif essentiel de la création de cette instance est de prendre des décisions concrètes pour progresser dans le prochain classement Doing Business », a ainsi souligné Chérif Rahmani, qui a rappelé que l’Algérie devait « sortir de la dépendance des hydrocarbures et de l’importation par la diversification des produits nationaux, en simplifiant les procédures d’investissement pour donner à chacun la chance d’investir ».
Il faut rappeler à cet égard que depuis 2009 l’Algérie, après une première expérience d’ouverture peu concluante, a décidé de mieux encadrer l’investissement étranger. Il est soumis depuis à la règle du 49/51, stipulant que la majorité du capital doit être détenue par un opérateur public ou privé algérien. Cette règle est combattue sans relâche par les investisseurs étrangers et quelques investisseurs algériens, qui en demandent l’abrogation afin de revenir à la case d’avant 2009. Un nouveau code des investissements doit voir le jour sous peu.
L’initiative du ministre de l’Industrie a été saluée par les patrons algériens. Le président de la Confédération algérienne du patronat, Boualem M’Rakech, a qualifié le nouveau comité de concertation de « pièce manquante » dans le dispositif institutionnel actuel. Il a souligné : « Le gouvernement prend conscience des difficultés et il est prêt à prendre des initiatives pour régler les problèmes auxquels font face l’économie d’une manière générale et l’entreprise en particulier. » Pour Réda Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprises (FCE), « il existe une forte volonté du gouvernement de créer des conditions favorables à l’investissement en s’attaquant aux problèmes bureaucratiques ». Il a assigné au comité la tâche d’identifier la nature des blocages qui entravent le monde des affaires et de proposer des solutions pour les surmonter. « Nous saluons cette initiative, mais ce n’est pas pour autant que les problèmes vont disparaître. Il va y avoir une phase de diagnostic et une série d’actions qui vont concerner toutes les administrations, c’est là où l’exercice est le plus difficile », a-t-il déclaré. Une invitation « urgente » a été adressée aux chefs d’entreprises pour formuler des propositions à même d’améliorer le climat des affaires. « Nous y participerons aux côtés du ministère de l’Industrie, pour donner notre point de vue sur la difficulté de création des entreprises, d’obtention des financements, d’accès au foncier, qui polluent la bonne organisation de notre économie et la bonne gestion de nos entreprises », a lancé Réda Hamiani.
Évoquant la question cruciale de la taille modeste des PME algériennes, sans rapport avec les nouvelles ambitions industrielles du pays, le président du FCE a imputé cette faiblesse à l’absence d’accompagnement des banques, qui, a-t-il précisé, « n’accordent pas suffisamment de ressources financières aux PME, lesquelles souffrent aussi du manque de ressources humaines qualifiées ». Pourtant, selon la Banque d’Algérie, 52 % des crédits à l’investissement reviennent au secteur privé, contre 48 % au secteur public.
« L’Algérie a une population dont on peut dire qu’elle constitue un vrai dividende au sein de l’économie, à condition que chacun s’en donne la peine, c’est-à-dire que chacun veuille bien y participer dans un cadre souple et flexible qui permet l’investissement et le développement des activités. Cela veut dire la simplification des formalités, moins de bureaucratie dans un certain nombre de cas, l’encouragement aux importations, aux exportations et aux investissements, une certaine ouverture aux investisseurs directs étrangers. Dans ces conditions, je crois que l’Algérie peut faire mieux que ses performances de croissance d’aujourd’hui », a résumé Christine Lagarde peu avant de quitter l’Algérie.