À une année du cinquantième anniversaire de l’indépendance, le président Abdelaziz Bouteflika a entamé le processus de réformes politiques pour approfondir la démocratie, en appelant les acteurs politiques à mettre la main à la pâte pour le faire réussir.
Les yeux tournés vers les révoltes arabes, certains Algériens fantasmaient sur le « grand soir ». Du passé, faisons table rase. Le président Abdelaziz Bouteflika les a pris de court en annonçant un train de réformes politiques globales qui, tout en tenant compte des acquis considérables de ces dernières années, doit impulser des changements profonds dans la pratique démocratique en Algérie. Il n’a parlé ni trop tard ni trop tôt, juste à temps, loin de la pression des événements, et opté pour le changement dans la continuité.
Infatigable président de la Commission consultative pour la protection et la promotion des droits de l’homme (CNCPPDH), l’avocat Farouk Ksentini a le mieux cerné le problème : la réforme n’est pas seulement une affaire de textes, elle requiert une pratique politique rénovée, inspirée par une culture démocratique qu’il faut ancrer à tous les niveaux de l’administration et de la société. « Nous avions tout juste les pieds dans la démocratie, maintenant nous allons y plonger », a-t-il dit dans un entretien à la Chaîne III de la radio algérienne, en soulignant que le chef de l’État s’était écarté de toute « démagogie et de toute gesticulation » dans son discours à la Nation annonçant les réformes à venir.
Dans ce discours, que les Algériens n’auront pas attendu en vain, le président Bouteflika a pointé les principales faiblesses de la pratique politique actuelle en Algérie et exprimé son engagement fort à y remédier dans les meilleurs délais en associant l’ensemble des acteurs politiques du pays. Il a accompagné cet engagement d’une mise en garde claire et ferme. Si les Algériens suivent de près les mutations en cours dans les pays arabes – dont un certain nombre a déjà été réalisé en Algérie depuis plus de vingt ans, comme la renonciation au parti unique –, « nul ne doit réinstaller d’une façon ou d’une autre, la peur dans les familles, inquiètes pour la sécurité de leurs enfants ou de leurs biens, ou plus grave encore l’inquiétude de toute la Nation sur l’avenir de l’Algérie, son unité, son indépendance et sa souveraineté nationale », a-t-il dit. Les blessures et le souvenir cruel de dix années de terrorisme, qui dans ses derniers soubresauts criminels a encore tout récemment fait une vingtaine de victimes innocentes, sont là pour rappeler que toute dérive ne peut profiter qu’aux fauteurs de troubles. Artisan de la réconciliation nationale, le président Bouteflika se veut le garant de la paix retrouvée. Il en a donné une preuve supplémentaire lors de l’inauguration de la manifestation « Tlemcen capitale de la culture islamique », en y associant la famille de Messali Hadj – leader historique de l’Étoile nord-africaine – et Ahmed Ben Bella, premier président de la République algérienne. Face aux menées étrangères aux frontières du pays, il se devait de rappeler le credo national du refus de toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures des pays souverains.
Les grands chantiers de la réforme politique sont au nombre de quatre. Le premier concerne la Constitution. Avant même son accession au pouvoir en 1999, le chef de l’État a émis le souhait d’une profonde révision de la Loi fondamentale qu’il a été contraint d’endosser dans les circonstances politiques complexes de son rappel aux affaires alors que le pays faisait face à un effroyable vide politique. Le texte actuel, amendé à plusieurs reprises souvent dans l’urgence, est en effet le fruit de plusieurs compromis, qui l’ont déséquilibré.
Sous la présidence de M. Bouteflika, il a subi deux révisions partielles : en 2002 pour introduire le tamazight comme langue nationale – aux côtés de l’arabe, langue nationale et officielle – et en 2008 pour redéfinir les pouvoirs respectifs du président de la République et du premier ministre et rétablir la possibilité pour le chef de l’État de postuler à plus de deux mandats successifs. Engagé dans un vaste programme de réformes économiques et sociales, alors que le pays était encore convalescent, le président Bouteflika estimait qu’il ne lui fallait pas moins d’un mandat supplémentaire pour mener à bien son projet national. Dans les deux cas, le Parlement l’a suivi à une écrasante majorité.
C’est aussi le Parlement qui sera appelé cette fois encore à examiner et voter les réformes au texte constitutionnel qui lui seront soumises par une commission composée de représentants de la classe politique – toutes tendances confondues – et des experts en la matière. L’objectif étant « d’approfondir la démocratie », les révisions devront tenir compte de trois constantes : la nature républicaine du régime, l’équilibre des pouvoirs entre exécutif, législatif et judiciaire, ainsi que le pluralisme politique. Il est probable aussi que sera maintenu le régime présidentiel introduit dès l’indépendance sans discontinuité, et qui semble mieux correspondre au tempérament national, que le régime parlementaire aux majorités plus instables.
Deuxième chantier : la loi électorale. Scrutin proportionnel, de liste, uninominal à un tour ou deux, s’il n’y a pas de mode de scrutin parfait, il en est qui accentuent plus que d’autres les tendances qui se dégagent du suffrage universel. Les réformateurs doivent s’inspirer de la riche expérience électorale acquise depuis 1988 par l’Algérie dans ce domaine. L’engagement du chef de l’État est celui d’une loi électorale assurant la meilleure représentation possible des Algériens aux assemblées nationales, régionales et locales et de scrutins transparents. Le mode de scrutin actuel aux élections municipales est responsable du blocage de beaucoup de mairies qui ne sont pas parvenues à dégager des majorités municipales stables. Les femmes devraient enfin bénéficier de la parité de candidatures à tous les niveaux.
Le troisième chantier concerne la loi sur les partis politiques. L’ouverture dans la précipitation en 1989 du champ politique a donné lieu à une dérive sans précédent. Plus de soixante partis avaient été agréés, certains sur la base de simples déclarations sur l’honneur. Plus de la moitié s’est autodissoute en cours de route. D’autres se sont portés candidats à de nouveaux agréments sans les avoir obtenus. La révision envisagée devrait effacer les ambiguïtés de la loi actuelle et redéfinir d’une façon plus précise les conditions d’exercice d’une activité politique partisane. Pour pallier à la dispersion, le chef de l’État a créé une « Alliance présidentielle » formée des trois plus grands partis : le FLN, le RND et le MSP, qui disposent d’une large majorité au Parlement. Il s’appuie sur eux pour faire voter ses projets, mobiliser et encadrer les électeurs.
Dernier chantier enfin, la révision du code de la presse, ce contre-pouvoir qui s’est développé en Algérie d’une façon spectaculaire depuis une vingtaine d’années. Le champ médiatique algérien est sans doute l’un des plus riches du monde arabe et africain. Il n’existe pas moins de trente publications indépendantes en arabe et en français – pour les plus lues. Le ministre de la Communication, Nacer Mehal, journaliste professionnel lui-même, a déjà appelé à une concertation avec tous les journalistes, les éditeurs et les organisations syndicales et professionnelles pour élaborer un « consensus » sur les réformes envisagées.
Le chef de l’État avait déjà répondu favorablement à l’une des préoccupations majeures des journalistes en annonçant la prochaine dépénalisation des délits de presse. Il s’agit maintenant d’élaborer une charte déontologique et d’examiner les revendications catégorielles comme la création d’une grille nationale de salaires et un statut des journalistes couvrant le public et le privé. Une réflexion doit être enfin engagée sur la nature et le rôle du Conseil supérieur à l’information et du Conseil de l’audiovisuel.
Pour Mohand Berkouk, professeur des systèmes politiques comparés à la faculté des sciences politiques et d'information de l'université d'Alger, les réformes annoncées « dessinent les contours d’une nouvelle république avec un système politique démocratique et une administration décentralisée, basée sur le service public et la rationalité ». Il s’agit, a-t-il dit, de « consolider le mouvement démocratique, de consacrer le pluralisme politique et médiatique » et, en élargissant les prérogatives des assemblées locales et régionales élues, de « consacrer la démocratie locale conformément aux exigences de développement qui considère le citoyen comme une finalité ». Il a qualifié les réformes annoncées « d’ambitieuses et de complémentaires, s'inscrivant dans le processus d'édification d'un État moderne et un jalon pour la réalisation du développement dans le cadre de la stabilité et de la sécurité ».