Se taire sur les crimes de Kadhafi, c’est l’autoriser à les poursuivre, accepter l’intervention occidentale, c’est s’exposer à être catalogué parmi les supplétifs de l’étranger, suprême opprobre.
Opposés aux tueries de Mouammar Kadhafi contre son peuple, des intellectuels arabes condamnent aussi l’intervention occidentale en Libye, aux termes d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies et à l’appel du Conseil national de transition libyen, avec l’accord explicite de la Ligue arabe.
Ils se sont laissé enfermer dans un redoutable dilemme : se taire sur les crimes de Kadhafi, c’est l’autoriser à les poursuivre ; accepter l’intervention internationale, fut-elle sous la bannière onusienne, c’est s’exposer à être catalogué parmi les supplétifs de l’étranger. Suprême opprobre.
Ce « ni-ni » est celui de l’impuissance. Il est l’expression de l’inapatitude à penser l’après-révolte arabe, qui doit ouvrir devant les peuples enfin débarrassés de leurs tyrans un espace de libertés bienvenu, les habilitant à décider de leur destin et à prendre en charge leurs propres affaires dans une saine compétition démocratique.
Le refus de choisir s’explique par le légitime traumatisme ressenti après l’ignoble agression américaine de 2003 contre l’Irak et ses conséquences désastreuses sur l’unité territoriale et nationale de ce pays, et de l’ensemble du Proche-Orient.
Décidée unilatéralement par George Bush Jr, seul contre tous, la guerre en Irak était fondée sur le mensonge, la duplicité et une idéologie néoconservatrice s’inspirant de la funeste et fumeuse théorie du « choc des civilisations », aujourd’hui fort heureusement en perte de vitesse.
Au delà du régime en place, la guerre visait le pétrole irakien et une modification par la force des armes de la géopolitique du Moyen et du Proche-Orient au bénéfice d’Israël en premier lieu et, par ricochet, de l’Iran. Fort involontairement pour ce qui est de ce dernier, dont les convoitises sur son voisin ne pouvaient être ignorées. Mais c’est le propre des apprentis-sorciers de faire lever des vents indésirables.
Rien de tel en Libye, au moins pour ce qui est des objectifs affichés. Il s’agit par des frappes aériennes et navales ciblées, sans intervention au sol, de paralyser et de détruire la machine de guerre de Kadhafi.
Après le pilonnage à l’arme lourde et le blocus imposé à Zouera, Zaouiya, Zentane, Ras Lanouf et Brega, l’implacable machine de guerre avançait sans répit depuis plusieurs jours sur des civils insurgés à Misrata, Ajedabyia, Benghazi, menacés d’anéantissement par le propre fils aîné du « Guide », Seif Al Islam.
Fallait-il laisser se produire le bain de sang annoncé, s’en laver les mains pour le condamner « vigoureusement » une fois survenu, ou le prévenir et rétablir un rapport de force en faveur des insurgés, qui avaient commencé leur mouvement pacifiquement avant d’être acculés à prendre les armes ?
La feuille de route confiée aux alliés par le Conseil de sécurité, laisse aux Libyens la tâche de renverser le régime ubuesque établi depuis 42 ans par Kadhafi.
Un régime à la démesure de son égo surdimensionné, incapable d’ouvrir le dialogue avec ses contradicteurs. Il a dépensé des sommes colossales dans de vaines et folles équipées militaires et diplomatiques, arabes et africaines.
A coup de valises de dollars offertes à ses affidés africains, ce « révolutionnaire, issu du monde nomade et des oasis » — comme il se qualifie lui-même — s’est fait proclamer « roi des rois » d’Afrique.
Brouillon et inconstant, Kadhafi a fait perdre au monde arabe des années précieuses en s’immisçant dans les affaires internes des uns et des autres sous prétexte de les « guider » sur le bon chemin de l’unité.
Mégalomaniaque, il s’est pris à son propre jeu dans l'indifférence générale, signe de son insignificiance à l'échelle du monde, en proclamant une « troisième théorie universelle » censée dépasser le capitalisme et le socialisme, et « l’Etat des masses », présenté comme l’horizon indépassable de la « démocratie vraie » face à une démocratie représentative « instrument de mystification des peuples ».
« En agressant la Libye, les occidentaux provoqueront chez eux des révolutions populaires, et me donneront ainsi l’occasion unique d’être à la tête de la révolution populaire mondiale », a déclaré l’infatué lorsque le ciel lui est tombé sur la tête.
Ses courtisans occidentaux, flatteurs vivant grassement de ses largesses, considéraient ses foucades et ses gesticulations avec amusement. Il les divertissait autant qu’un singe dans un zoo derrière ses barreaux.
Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand a le mieux résumé le peu de considération sinon le mépris qu’ils lui vouaient : « c’est un excentrique, un original. Il n’est pas fou. Il a des lubies. Ce n’est pas parce que tante Marcelle a des lubies qu’elle est folle ».
Et c’est cet homme qu’on nous demande de sauver. Qu’il s’en aille !