Fifa Grâce à ses entreprises écrans, la Fédération internationale de football association engrange les plus gros bénéfices au détriment de l’Afrique du Sud, obligée d’accepter son diktat.
«Si la corruption est définie comme l’utilisation abusive des institutions publiques dans l’intérêt du privé, alors, selon moi, la Fifa a créé un modèle de corruption mondiale institutionnalisée. Pendant trois décades, Havelange et Blatter ont protégé et nourri des fonctionnaires corrompus, particulièrement dans le Tiers-Monde. » Ces mots très durs d’Andrew Jennings, le grand journaliste britannique sportif qui a enquêté sur la Fifa pendant des années (1), sont sans aucun doute justifiés par le « Fifa business » en Afrique du Sud. À sa tête, une société nommée Match Event Services (MES) qui a l’exclusivité de l’hébergement labellisé « Coupe du monde » – de l’hôtel de luxe à la chambre d’hôte –, de la très lucrative vente des tickets et de l’information technologique du Mondial.
La loi de Match Event Services
La structure était censée influer sur les prix des hébergements pour éviter une explosion. Il s’avère que, par un tour de passe-passe pas très propre, certains prix ont été surmultipliés, dans les parcs nationaux particulièrement. Par exemple, un bungalow à Berg-en-Dal, loué normalement 700 rands la nuit, coûtera au visiteur de la Coupe… 9 391 rands. De manière générale, MES loue les hébergements 30 % plus cher que le prix imposé aux acteurs sud-africains. Bien que 80 % des hôtels et des guest houses aient signé avec Match Event Services, 20 % ont catégoriquement refusé de se plier à ses ordres, avec le soutien du SA Tourism, l’organisation des professionnels du tourisme qui s’est retirée du comité conseil de Match en signe de protestation. Mais sans le soutien du ministère sud-africain du Tourisme et du gouvernement, qui ont préféré faire profil bas pour ne pas embarrasser la Fifa. Il est clair que MES s’est vue offrir une mine d’or par la Fifa qui en profite indirectement, tandis que les opérateurs sud-africains en seront pour leurs frais.
Qui est MES ? L’entreprise, créée avec la complicité de la Fifa, a été enregistrée en 2007 en Grande-Bretagne. Elle appartient à une seule famille d’origine mexicaine, les Byrom. L’attribution du contrat d’exclusivité – plusieurs millions de rands – reste des plus obscures, il n’y a jamais eu d’appel d’offres. Byrom possède également des filiales, comme le consultant logistique Seamos Marketing, contractées par la Fifa dans des événements tels que la Coupe du monde femmes des moins de 20 ans au Chili, en 2008.
Autre bras de la pieuvre Fifa business, Match Hospitality qui a l’exclusivité de la vente de packages (hébergement en suite, tickets, repas et réceptions) aux grandes compagnies internationales à des prix exorbitants. Par exemple, le Big Five Series (1,5 million de dollars !) qui comprend une suite privée pour tous les matches importants – ouverture, demi-finales et finale – et tous les matches dans les cinq plus grands stades. Le package « suite pour deux demi-finales et la finale à Soccer City » coûte 15 000 dollars.
Bien que Match Hospitality refuse de communiquer sur la nature de ses quatre actionnaires, il est apparu que l’un d’eux est Infront Sports & Media dirigé par Philippe Blatter, le neveu et filleul du président de la Fifa, Sepp Blatter. Infront S & M. a déjà gagné des millions en tant que partenaire exclusif de la Fifa pour les droits de diffusion depuis 2002. Il est associé au japonais Dentsu, a l’exclusivité des droits de diffusion pour l’Asie pour les Coupes 2010 et 2014 au Brésil. La Fifa, pour la première fois, se réserve la gestion des droits, très lucratifs, pour le reste du monde, faisant rentrer directement dans ses caisses des millions de dollars.
MES et Match Hospitality se présentent comme des entités séparées mais, en réalité, partagent certains actionnaires. Jusqu’à 2008, MES était une joint-venture à 50-50 Byrom PLC/Eurotech. Mais, en 2008, Byrom PLC a acheté Eurotech. La famille Byrom a été chargée des logements officiels de la Fifa et de la gestion de la vente des tickets, cela depuis quatre Coupes du monde. Après le Mondial 2006, Byrom a décidé de créer Match Event Services AG, basée à Zoug, non loin de Zurich, où siège la Fifa. Byrom possède également 65 % de Match Hospitality avec le japonais Dentsu (25 % depuis 2008) et Infront (Philippe Blatter, par ailleurs associé à Dentsu dans Match Hospitality). Difficile de connaître les autres actionnaires des deux entreprises, celles-ci étant liées à la Fifa par une clause de confidentialité. Mais l’on sait que le groupe Bidvest possède des actions de Match Hospitality et de MES.
C’est un gigantesque groupe d’affaires sud-africain présent dans le monde entier et dans tous les secteurs, dont le président non exécutif n’est autre que le multimilliardaire Cyril Ramaphosa, figure historique de la lutte contre l’apartheid – il était le président du puissant syndicat des mineurs – ex-président de la Commission nationale du black economic empowerment (BEE, montée en puissance économique des Noirs). Il est aujourd’hui membre d’une dizaine de conseils d’administration de multinationales – servirait-il, lui aussi, de caution pour le label si rentable du BEE ? –, dont la Standard Bank Group Limited and de Coca-Cola Company's International Public Advisory Board. Est-ce un hasard si le mythique stade Ellis Park à Johannesburg s’appelle aujourd’hui, le Coca Cola stadium ? !
Difficile d’évaluer les bénéfices de Match Hospitality et de MES, car Byrom ne veut rendre aucun chiffre public, prétextant encore une fois d’un principe de confidentialité avec la Fifa. Laquelle refuse également de répondre à la question de savoir quelle part des bénéfices reviendra à l’Afrique du Sud. À qui profiteront-ils ? Ils seront distribués aux actionnaires et utilisés pour d’autres opérations lucratives. Au bout de la chaîne, c’est Byrom qui touchera le gros lot. Ou, plutôt, les sept membres de la famille Byrom dont son président, Jaime, l’aîné, 53 ans, qui a été nommé… membre du groupe d’inspection de la Fifa chargé de sélectionner les stades brésiliens pour la Coupe 2014.
3,2 milliards de dollars !
Philippe Blatter, qui a obtenu par des moyens tout aussi obscurs les droits partiels exclusifs de diffusion et de marketing, qui sont les plus lucratifs de tous les contrats de la Fifa, touchera gros lui aussi. Pour la Coupe 2010, les revenus générés par les ventes de droits entre 2007 et 2010 s’élèvent à 3,2 milliards de dollars, dont 2 milliards pour les droits TV (63 % du total), 1 milliard pour les droits de marketing, 120 millions pour les droits d’accommodation et 80 millions pour les licences. Le groupe Budweiser (bières et boissons) et l’opérateur MTN, tous deux sponsors, ont également payé.
Lors de la cérémonie annonçant la tenue de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, Sepp Blatter déclarait devant Nelson Mandela : « Le vainqueur est le football, le vainqueur est l’Afrique ! » En réalité, le vainqueur est la Fifa et ses acolytes. Et le gouvernement sud-africain, trop content d’avoir été l’heureux élu grâce à Sepp Blatter – qui devait se faire pardonner les magouilles ayant permis à l’Allemagne d’accueillir la Coupe 2006 à la place de l’Afrique du Sud donnée favorite, n’a eu qu’à s’incliner et à se taire face aux exigences de la Fédération. Des exigences qui le privent pourtant des retombées financières du plus grand événement sportif et populaire du monde.
(1) Andrew Jennings a remporté plusieurs prix de reporter. Il a écrit cinq livres sur la corruption, dont un sur Scotland Yard et un sur la Fifa : Carton rouge ! Les Dessous troublants de la Fifa (Presses de la Cité, 2006). Il est, aujourd’hui, interdit de tout contact avec la Fifa.