Musique Pour leur 11e édition, les trophées de la musique africaine ont été remis au Burkina Faso. Comme toujours, argent, paillettes et grands bonheurs ont émaillé une manifestation retransmise devant 800 millions de téléspectateurs.
Pour la première fois, les Koras, trophées de la musique africaine, se sont déroulés en dehors de leur pays d’accueil, l’Afrique du Sud. Faute de pouvoir se tenir au Nigeria comme prévu, la 11e édition de la manifestation a été organisée à Ouagadougou, au Burkina Faso, le 4 avril dernier.
Les primés sont absents !
Transmis en direct par la chaîne Canal France international (CFI) et la télévision burkinabè, le spectacle a débuté par un superbe feu d’artifice. Le metteur en scène, chorégraphe et danseur ivoirien Souleymane Koly a appelé le Malien Cheikh Tidiane Seck à jouer en direct au piano pour donner une couleur ouest-africaine à la cérémonie. « Il s’agissait de faire un puzzle qui décline les différents styles émergents de l’Afrique, a-t-il expliqué . J’ai adapté sur une chorégraphie sud-africaine les rythmes de chez nous. »
Le ballet d’ouverture, mis en scène depuis l’Afrique du Sud par Somzi, débordait de vitalité. S’exprimant sur son travail en collaboration avec les danseurs locaux qui se sont joints à eux, le chorégraphe a particulièrement apprécié la technique et le talent des artistes burkinabè. « La volonté de produire les Koras en Afrique du Sud tenait du souci, de la part du gouvernement post-apartheid, de s’insérer dans l’Afrique noire en tant que pays africain, explique Ernest Adjovi, initiateur du projet. La donne n’est à présent plus la même et j’ai dû chercher un nouveau pays d’accueil. » Aujourd’hui, le pays qui, pendant dix ans, a accueilli les Koras, est passé a une politique de « réconciliation » plus encline à rechercher une cohésion sociale interne.
À Ouagadougou, où l’organisation des trophées a brassé des millions de dollars à la face d’un des pays classé parmi les plus pauvres du monde, l’accueil a été mitigé, notamment de la part des artistes et intellectuels burkinabè qui doivent déployer une énergie considérable pour n’obtenir, bien souvent, qu’une infime partie du budget nécessaire à leurs projets. Il est vrai que beaucoup d’argent est à chaque fois mis en jeu pour réaliser et filmer la cérémonie de remise des Koras, qui a été retransmise devant plus de 800 millions de téléspectateurs.
Néanmoins, la fête a été belle. L’équipe sud-africaine a assuré avec brio et, comme ses membres le disent eux-mêmes : « Nous avons le meilleur matériel existant et les meilleurs techniciens ! » Construire en trois jours un plateau télé, faire répéter les danseurs sud-africains et burkinabè qui n’avaient jamais travaillé ensemble, et réussir la ponctualité d’un direct a été une véritable gageure. Le désordre semblait pourtant sans solution : Irène Tassembedo, chorégraphe burkinabè, ainsi que quelques-uns de ses danseurs qui se sont produits dans le ballet d’ouverture, ne savait pas la veille quel costume mettre ni ce qu’elle devait réellement faire sur scène, n’ayant jamais répété. Et pourtant, alors que personne ne pouvait y croire, la magie a opéré. En grande partie grâce à Ernest Adjovi et surtout sa fameuse équipe sud-africaine. Dans l’ombre, ils calculaient à la seconde près chaque étape, faisant la synthèse et gérant chaque donnée, chaque difficulté.
Les artistes primés ont empoché des sommes rondelettes. Le vainqueur de la catégorie « meilleur artiste du continent de l’année », le groupe nigérian P Square, a gagné un million de dollars ! Les trois autres finalistes : les Sénégalais Black Diamonds, l’Angolais installé aux États-Unis Paul G et la Burkinabè Amity Meria ont remporté respectivement 100 000 dollars, 50 000 dollars et 25 000 dollars.
Certains souhaitent réinvestir cette somme au profit d’associations caritatives : « Maintenant, j’ai assez d’argent pour poursuivre mon combat contre l’exclusion des victimes du sida dans nos campagnes, affirme Shasha Marley, musicien ghanéen de grand talent qui n’a rien à envier aux meilleurs artistes jamaïcains. Il est revenu dans son pays avec le trophée bien mérité du meilleur artiste reggae (50 000 dollars), partagé avec King Wadada, du Nigeria.
D’autres musiciens pensent à leur carrière, comme Paul G : « Je vais investir dans mon prochain album, et Akon jouera dedans ! » L’artiste n’a pas semblé sensible à la polémique qui, en fin d’émission, a saisi les festivaliers à la suite de la défection de la vedette annoncée, le Sénégalo-Américain Akon, prévu pour clôturer la soirée. Contrarié, Ernest Adjovi a rejeté toute la responsabilité sur le chanteur, précisant qu’il n’avait pas « honoré son contrat ».
Le rappeur burkinabè Smokey, qui s’est imposé comme le meilleur artiste dans la catégorie « hip-hop », a dédié son prix aux combattants pour l’indépendance de l’Afrique Patrice Lumumba et Thomas Sankara. Selon lui, ils sont « des exemples à suivre pour les dirigeants africains actuels ».
Une création réussie a particulièrement touché le public : en hommage à Michael Jackson, un groupe d’enfants vêtus de robes blanches entouraient la chanteuse de R’n’B ivoirienne Renkah et faisaient voler autour d’eux de longs rubans blancs.
Le grand artiste gabonais Pierre Akendengue, lui, a reçu une consécration méritée. Il reste qu’au cours de la soirée on a vu peu d’artistes. Les finalistes et les primés ont brillé par leur absence. Ainsi, le grand vainqueur de la soirée, P Square, n’était pas à Ouagadougou. Ceux qui étaient présents n’étaient pas sélectionnés ou ne se sont pas produits sur scène, et ceux qui rôdaient autour du palais, espérant encore monter sur scène au cours de la soirée télévisée, ont été rejetés car la programmation était déjà calée.
à la mode américaine
Le palmarès des Koras a eu une coloration très américaine. À l’instar d’Akon, des musiciens africains ajoutent des éléments roots dans le flot de R’n’B, hip-hop, reggae ou soul… D’une façon générale, la plupart des musiciens présentés chantaient en anglais sur des tempos modernes. Ce qui n'empêche pas de reconnaître la grande qualité des artistes primés. Mais cela pousse à se poser des questions : avec la standardisation des rythmes et des arrangements, peut-on encore parler de musique africaine, ou plus de musique typique des États-Unis avec un parfum africain ? Ou encore d'une sorte de world music qui ne serait plus qu'un puzzle où s'imbriquent, autour d’une ossature commune, différents styles ?
S’il est certain que la musique africaine a beaucoup influencé la musique américaine (le jazz en est la meilleure preuve), les rythmes du continent demeurent la source des innovations les plus percutantes. On peut espérer qu’ils deviendront demain les promoteurs d’un nouveau genre musical qui fera vibrer la planète !