Photo Le beau livre « Afrique du Sud » rend un hommage radieux à la vitalité d’un peuple multiple qui veut continuer à faire bouger les lignes.
Une fois n’est pas coutume : c’est d’une Afrique du Sud radieuse que nous voulons parler en cette veille de Mondial 2 010. Une Afrique du Sud que découvriront devant leurs écrans moult peuples aux quatre coins de la terre, peu familiarisés avec ce pays ou qui n’en ont bien souvent que des échos négatifs : apartheid, criminalité, sida, crise politique… Quoi de mieux, pour évoquer la multitude d’atouts de cet État singulier, que le livre de photos de Pascale Béroujon, Richard Dobson, l’agence ASK-Images, sur des textes de la journaliste Sabine Cessou* ?
Un passé « digéré »
Certes, l’ouvrage ne parle ni de la colonisation, ni de la douloureuse histoire de l’apartheid, ni des énormes challenges socio-économiques et politiques que peinent à relever les gouvernements successifs depuis la fin de l’apartheid. Il y avait – et il y a – tant à faire… Mais il montre un dynamisme et une énergie incroyables s’exprimant au présent, opiniâtrement tournés vers le futur et donnant presque à croire que l’Afrique du Sud a définitivement « digéré » son tragique passé pour devenir un pays comme un autre. Ce qu’elle ne saurait être encore, surtout si l’on rappelle que les premières élections ouvertes à tous les citoyens, blancs, noirs, jaunes, métis, n’eurent lieu qu’en 1994.
Pourtant, en seize ans, que de chemin parcouru ! Que de barrières abolies, que de victoires conquises, que de talents révélés ! Les combats, loin s’en faut, n’ont pas tous été menés – et encore moins gagnés – pour que la majorité de la population n’ait pas l’amer sentiment qu’à la discrimination raciale, dont l’héritage continue d’imprégner le tissu social, a succédé l’insupportable injustice de classes. Il n’en reste pas moins que dans cette partie du monde, que l’on présente comme la seule capable d’émerger prochainement en Afrique subsaharienne, les mutations vers le mieux et l’envie de continuer à faire bouger les lignes, malgré tout, avec tout, sont réelles.
Qui a su tendre la main très vite à ses anciens bourreaux pour ne pas figer une nation dans la haine, si ce n’est le charismatique Nelson Mandela ? Qui a inauguré les commissions Vérité et réconciliation si ce n’est l’Afrique du Sud ? Qui a su écrire : « J’adore le foot. Je pourrais presque aimer les Anglais pour avoir donné ce sport au monde. Je pourrais presque leur pardonner d’avoir colonisé mon continent… », si ce n’est l’écrivain Eric Miyeni (1), cité dans le livre Afrique du Sud ? Un « presque » pour rappeler que l’Histoire en marche ne se fait pas dans la joie et les rires, que le long calvaire des uns ne saurait être effacé d’un revers de main, que la réconciliation est parfois aussi cruelle que les souffrances infligées. Que le pardon, surtout, ne saurait être l’oubli.
De son passé torturé, l’Afrique du Sud est sortie avec un visage neuf que ses persécuteurs avaient pourtant tout fait pour qu’il n’advienne jamais. Les Blancs, les Noirs, les Indiens, les métis ont peu à peu mis de l’eau sur les braises de la rancœur et du racisme. Nation « arc-en-ciel », ont repris en chœur tous les commentateurs, d’après l’expression de l’archevêque Desmond Tutu. Les militants anti-apartheid auraient préféré à cette société que l’on appréhende aujourd’hui comme « multiraciale » une société « a-raciale ». Multicolore sans doute, mais sans « race », concept aujourd’hui réfuté par tous les historiens et anthropologues. Mais, après tout, qu’importe : comme le reste, le peuple sud-africain s’approprie l’expression pour lui donner le sens positif et lumineux qu’on lui donne maintenant.
Un peuple multiple où se côtoient des San, chasseurs nomades dont l’origine remonte à 40 000 ans, des peuples bantous, arrivés vers 500 av. J.-C., tels les mythiques Zoulous, des Hollandais venus il y a quatre siècles pour coloniser cette terre du bout du monde, des Indiens « importés » par des colons Britanniques pour exploiter le territoire, et aujourd’hui de plus en plus d’enfants métis qu’on ne montre plus, l’invective aux lèvres, du bout du doigt. Ces peuples, devenus une nation, ont donné sa configuration rurale, industrielle, urbaine au pays : il y a Johannesburg « la noire », Le Cap « la blanche et métisse », Durban « l’indienne » offrant leurs beautés architecturales en même temps que la laideur de leurs bidonvilles… Les villages riches de leurs arts et traditions ancestraux, les fertiles terres irriguées du Northwest ou de la province du Cap, les troupeaux de chèvres, de vaches ou d’autruches qui parsèment le pays, le sous-sol riche d’or, de diamant, de platine et de bien d’autres ressources minières.
Millionnaires noirs
Cette terre à qui la nature a offert une faune, une flore, des paysages et deux océans parmi les plus époustouflants du monde, la nouvelle élite issue du black economic empowerment (« montée en puissance économique des Noirs ») a su la faire fructifier aussi bien que les colons : « D’ores et déjà, rappelle Sabine Cessou, l’Afrique du Sud est seule en Afrique à compter autant de millionnaires noirs. » Et, parmi eux, « toute une génération d’anciens combattants de la liberté » : Tokyo Sexwale, Zwelakhe Sisulu, Dali Tambo…
Les nombreuses photos d’Afrique du Sud rendent hommage à la vitalité de ce pays à la fois très vieux et tout neuf, qui s’exprime aussi dans l’art contemporain dont certaines disciplines – danse, arts plastiques, cinéma, jazz – rayonnent dorénavant sur toute la planète. Chapitré par thèmes (« Nation arc-en-ciel », « Errances urbaines », « Trésors de la terre »…), le livre est ponctué par les fragments de textes aussi informatifs que vivants de Sabine Cessou et de judicieux extraits de romans d’écrivains sud-africains. Ce pays béni des dieux, que certains hommes ont un temps rendu enfer, aucun Sud-Africain ne veut le quitter : « Je veux vivre ici, se dit-il. Je veux vivre ici pour toujours, ici où ma mère et ma grand-mère ont vécu. C’est aussi simple que cela », peut-on lire sous la plume de John M. Coetzee, le prix Nobel de littérature (2).
(1) In The only Black at the Dinner Party, Éditions Jacana Media, Johannesburg, 2006.
(2) In Michael K, sa vie, son temps, Seuil, Paris, 1985.
* Afrique du Sud, textes de Sabine Cessou, photographies de Pascale Béroujon,
agence ASK-Images, Richard Dobson,
Éditions du Chêne, coll. « C’est le rêve »,
272 p., 35 euros.