Essai Spécialiste du monde caribéen et militant engagé, Randall Robinson fait entendre, dans « Haïti l’insupportable souffrance », une voix dissonante dans l’actuel consensus sur le passé et le présent de l’île.
On ne dira jamais assez la tendresse, la passion et la profonde connaissance que Claude Ribbe a du monde afro-caribéen. Il en signe une nouvelle étape par la publication, dans la collection Ethiopica qu'il dirige, aux Éditions Alphée/Jean-Paul Bertrand, d'un livre intitulé Haïti l'insupportable souffrance, de Randall Robinson.
Véritable somme historique, ce livre retrace l'histoire de l'île d'Hispaniola et de sa lutte farouche et unique contre la colonisation et l’esclavage, intervenue peu après sa « découverte » par Christophe Colomb en 1492, et, surtout, l'extraordinaire réussite de sa guerre d'indépendance, menée notamment par Toussaint Louverture. La République haïtienne, née en 1804, a souffert au cours des siècles de bien des maux dont l'origine, analyse l’auteur, vient du fait que les pays occidentaux, anciens propriétaires planteurs, colons et esclavagistes tout-puissants, ne pardonnent pas et ne pardonneront jamais à une armée d'anciens esclaves, à des va-nu-pieds sans nom, de les avoir vaincus. En effet, tous les corps expéditionnaires, qu'ils soient venus de France, de Grande-Bretagne ou d'Espagne, se sont cassés les dents sur la volonté farouche, la détermination absolue et courageuse des troupes de Toussaint Louverture. Quant aux États-Unis, ils ne peuvent oublier ce « mauvais exemple » donné à leurs propres esclaves d'une émancipation victorieuse.
Une étrange démission
Certes, les relations d'Haïti avec l'Occident ont été faites de hauts et de bas, mais combien d'accords tronqués, de promesses non tenues, de marchés de dupes et de trahisons… Jusqu'à l'enlèvement en 2004, par les forces spéciales américaines, de Jean-Bertrand Aristide, pourtant démocratiquement élu au terme d'une alternance constitutionnellement prévue, dont on a dit qu'il avait « démissionné ». Le récit palpitant et terrifiant qu'en livre Robinson, témoin privilégié, ressemble plutôt à celui d'un coup d'État soigneusement organisé par les services américains, avec la complicité de la France, qu'à un départ librement consenti.
Randall Robinson, né en 1941 à Richmond (Virginie, États-Unis), n'est pas un débutant en matière d’histoire de cette partie du monde et des souffrances endurées par le peuple noir dans des territoires mis en coupe réglée par les Blancs. Avocat, diplômé de Harvard, il est un activiste africain-américain connu pour ses prises de position contre l'apartheid en Afrique du Sud, puis en faveur des immigrants haïtiens et de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide. Il a traduit cet engagement de plusieurs façons. Par le militantisme d'abord : il n'a pas hésité à se mettre en grève de la faim pour faire pression sur les États-Unis afin qu'ils interviennent pour mettre fin à la dictature du général Raoul Cédras, qui avait renversé le président Aristide en 1991. Par ses écrits ensuite : en particulier au sein de l'association TransAfrica, structure qu'il a fondée en 1977 dans la communauté africaine-américaine, qui fournit des analyses constructives de la politique américaine à l'égard de l'Afrique et de sa diaspora dans les Caraïbes et en Amérique latine.
Le 12 janvier 2010, un terrible tremblement de terre a secoué la région de Port-au-Prince, capitale d’Haïti, causant la mort de plus de 300 000 personnes et provoquant des dégâts considérables aux infrastructures du pays. La communauté internationale s’est mobilisée pour venir en aide à la population et, aujourd’hui, elle s’emploie à la reconstruction. Que cache cette intervention massive ? Ce livre fait entendre une autre voix, donne à lire une autre analyse que celle, absolument positive, qu’il est habituel de rencontrer. À ce titre, c’est un ouvrage indispensable.
Haïti, l’insupportable
souffrance, Randall Robinson,
Éd. Alphée, 315 p.,
21,90 euros.