Satongé est le nom d’un géant issu d’une comptine kinoise, qui a un seul œil, un seul bras et une seule jambe.
C’est ainsi que Roger appelle son instrument de musique qui, lui, a… une seule corde ! âgé de 13 ans au commencement de l’histoire – nous sommes en 2004 et le pays est en train de sortir d’une guerre civile sanglante –, le petit est un shégué, l’un des 100 000 enfants délaissés qui ont élu la rue comme domicile dans la capitale de la République démocratique du Congo. Roger a conçu et fabriqué avec du matériel de récupération un arc minuscule qui a une boîte de conserve vide comme caisse de résonance et donne des sons aigrelets et évocateurs, parfois troublants. Il est peut-être l’une des métaphores de Kinshasa, immense mégalopole d’Afrique noire avec ses dix millions d’habitants. Ville lumière d’autrefois, elle a été au fur et à mesure traînée dans la boue et dans la misère par la corruption et la violence des élites complices de la prédation occidentale.
Cependant, l’ancienne Léopoldville demeure aussi habitée par le génie créateur d’une population bariolée, dont la débrouille au quotidien sont le recours unique contre la pauvreté et l’exclusion. Elle est la vraie protagoniste de Benda Bilili, nom d’un orchestre de rue composé pour la plupart par des musiciens atteints de polio et titre du film de Renaud Barret et Florent de la Tullaye, sélectionné au festival de Cannes cette année. Il est programmé dans les salles françaises depuis le 8 septembre.
Léon Likabu, alias Ricky, le leader de Staff Benda Bilili, expression qui, en lingala, veut dire grosso modo « au-delà des apparences », entretient une relation particulière d’affection, presque paternelle, avec le petit Roger. Après la parution d’un album (Très très fort, Crammed Discs) en 2009, l’aventure de ce groupe de musiciens atypiques et circulant sur des tricycles customisés tourne au conte de fées. Une tournée démarre et la scène des Eurokéennes de Belfort accueille avec enthousiasme Ricky et ses acolytes qui se préparent à sillonner l’Europe. Chanteur à la voix un peu éraillée et guitariste aux accords enjoués, Coco l’avait prédit : « Un jour, nous serons les handicapés les plus connus d’Afrique ! »
Provisoirement rentrés à Kinshasa après leur dernier concert français, fin août, les Staff Benda Bilili n’ont pas eu le temps de défaire leurs sacs à dos : ils vont s’envoler pour le Japon, puis en 2011 sont attendus pour une série de concerts sur le Vieux Continent et aux États-Unis. Comme Ricky le dit, le film est « un message d’espoir. Nous voulons faire comprendre au monde entier que tout est possible quand on le veut vraiment, à force de travail ».