Garante de la perpétuation de l’espèce, dépositaire de l’héritage culturel et lien avec l’invisible, la femme occupe une place de premier rang dans les anciennes sociétés matriarcales d’Afrique centrale. Focus sur un aspect de l’exposition « Fleuve Congo », à Paris.
Parmi les images sculptées de la femme luba, celles des porteuses de coupe sont particulièrement emblématiques de la fonction féminine et de son importance dans la civilisation bantu des savanes subéquatoriales. Une notamment, parmi celles, nombreuses, présentées lors de l’exposition « Fleuve Congo » du musée du quai Branly, à Paris *, attire l’attention pour sa pertinence des valeurs symboliques et esthétiques.
Si le buste de la génitrice et la rondeur de l’objet suggèrent l’osmose étonnante des volumes sphériques et cubiques – caractère propre à la statuaire d’Afrique centrale autant que les contours ovoïdes du visage –, l’élément spécifique de l’œuvre demeure le couvercle à tête d’enfant de la coupe. Celle-ci dévoile par là son caractère sacré. Les esprits de la surnature y agissent, qui président à la reproduction de la vie, et la tête du nouveau-né jaillit du monde invisible grâce à l’action divinatoire de la femme serrant dans ses mains le réceptacle. Accroupie sur le sol, cette mère muluba porte son ventre en contact avec la terre. L’échange des énergies fécondatrices des génies telluriques et du sexe féminin assure la transmission de l’existence humaine que le sculpteur anonyme a si admirablement représentée.
Pivot de la communauté
Dans le monde bantu, autour du grand fleuve Congo – et sur tout le continent –, la femme noire est le pivot de la communauté. Lieu de la vie, elle en détient les mystères, de même qu’elle est garante de la relation avec les aïeux. Celle qui ouvre la porte des ancêtres est, par son rôle procréateur, l’« atelier divin » de l’univers, selon la définition du savant peul Amadou Hampâté Bâ, citée dans le catalogue de la manifestation.
De sa position privilégiée découle le matriarcat africain, dont la spécificité historique a été scientifiquement démontrée par l’historien Cheick Anta Diop dans son ouvrage L’Unité culturelle de l’Afrique noire. À la tête de nombreuses institutions d’influence politique considérable, de sociétés secrètes et de confréries initiatiques, la femme africaine est haut placée dans les hiérarchies des royaumes. Elle est la dépositaire des codes ésotériques indispensables aux rituels saisonniers autant qu’à l’adaptation aux lois de la nature et aux activités thérapeutiques. Sa puissance explique la vénération des figures féminines dans les communautés congolaises situées entre les fleuves Ogoué, Likwala et Congo, et le lac Maï Ndombe.
Les artisans inconnus de la savane, véritables protagonistes de l’exposition, en ont traduit la majesté dans la délicatesse des traits et la simplicité des formes. Dans les maternités Phemba et Kongo, d’où se dégage une intense émotion sacrée, dans les regards altiers des yeux bridés ou dans les visages en forme de cœur de ces Vénus, se résument un idéal de beauté et l’identité de la civilisation bantu.
* Jusqu’au 3 octobre,
37, quai Branly, 75007 Paris.
(33) 1 56 61 70 00.