La quête musicale
Revenant sur son séjour au Cameroun en 2008, pendant lequel il commence à travailler sur l’album Vision of Kamerun, Franck Biyong confie qu’il était animé par la volonté innocente de prendre à bras le corps l’histoire contemporaine de son pays d’origine et d’essayer d’en parler un peu plus librement. Ainsi donnait-il, au fil des morceaux, la parole à sa grand-mère, témoin de la guerre longtemps tue qui opposa la France au Cameroun. Sa démarche le conduisait déjà à se rapprocher des figures historiques de la musique camerounaise, à l’instar de Jean-Marie Ahanda, leader de la troupe déjantée des Têtes brûlées, qui collabore à la réalisation du disque.
Franck Biyong, connu pour son goût de l’afrobeat – revendiquant donc l’héritage de Fela –, a toujours eu à cœur de faire résonner dans sa musique le legs des aînés camerounais, mais aussi africains en général.
Selon le célèbre adage : « Quand tu ne sais pas où tu vas regardes d’où tu viens », le musicien d’origine bassa, parti de Côte d’Ivoire pour la France à l’âge de 14 ans, répond au malaise de l’exil et de la fracture coloniale par une musique qui fouille dans le patrimoine ancien et récent de l’Afrique, afin « de créer un art qui lui ressemble ». C’est donc inspiré par cette quête, qu’il nous livre, avec The Diamane Bantu Messengers, son dernier album : Ki I Ye Yi.
Musiques du Cameroun
« Ki I Ye Yi est un hommage un peu déguisé à l’un des grands musiciens de chez nous, Manu Dibango, raconte l’artiste. C’est aussi un retour à des formes de musiques traditionnelles avec le garaya et le gansaval. On les effleure, on essaye de les moderniser avec des influences un peu plus jazz, urbaines –ce qu’on appelle maintenant afro-beat –, mais aussi par le biais du spoken word. Il y a différents intervenants qui racontent les étapes de la vie des gens en musique. »
L’exploration des styles musicaux camerounais était déjà l’un des leitmotivs de Vision of Kamerun et, s’il reconnaît que Ki I Ye Yi peut être perçu dans la continuité de ses précédentes investigations musicales, Biyong ajoute quelques nuances : « Ki I Ye Yi est effectivement une sorte de suite, musicalement parlant, même si je pense que c’est un peu plus fouillé au niveau de la recherche et un peu plus explicite au niveau du propos musical. Le disque est plus personnel, il essaie d’évoquer des choses plus proches du quotidien du peuple. Il est moins centré sur le passé ou l’histoire, c’est la vie et les problèmes qu’on peut avoir aujourd’hui en vivant en Afrique, au Cameroun en particulier. C’était important pour moi d’illustrer des musiques venant du Nord, de l’Ouest, de l’Est ou du Centre, et dans ses formes plus urbaines. Au Cameroun, on a la chance d’avoir une mosaïque de peuples et il me semblait important d’explorer ces différents aspects. »
L’hommage à Manu
Le pari de Ki I Ye Yi est de nous transporter à travers la richesse des rythmes et mélodies du Cameroun, au-delà des barrières ethniques qui veulent qu’un disque soit estampillé makossa, assiko, bikutsi ou magambeu, tout en rendant hommage à la figure d’un maître. Celui-là même qui fit vibrer les aficionados du funk sur son Soul Makossa.
« Insérées ci et là sur différents morceaux du disque, on retrouve des petites citations de Manu Dibango. Manu représente pour moi le musicien qui a réussi à créer une fusion entre les styles de chez nous et d’autres styles de l’Afrique centrale et de l’Ouest. Il a créé ce qu’on a appelé afro-jazz et, plus tard, world musique, un terme que je déteste. Je pense que son répertoire est un large éventail des potentialités intrinsèques de la musique africaine, pour qu’elle puisse être plus “panafricaine”. Dans son cas, il y a des sonorités issues d’un peu partout et, en même temps, mais ça reste camerounais. C’est ce que j’ai essayé de faire en lui rendant hommage, en incorporant les rythmes là où ils ne sont pas forcément censés être, en intégrant des sons ou des éléments où ils n’ont pas l’habitude de se trouver. Je pense que c’est un peu cela la démarche de Manu ; dans ses albums des années 1970 et 1980, qui m’ont beaucoup influencé. »
Panafricanisme
L’engagement de Franck Biyong est perceptible à travers tous ses disques, dont Ki I Ye Yi. Aussi lui a-t-on demandé de clarifier son idée du panafricanisme en musique. « Je pense que c’est important, quand vous parlez de panafricanisme, qu’on puisse se servir ou s’inspirer de ce qui a été fait, récemment et dans le passé, pour créer une musique africaine du futur. Ça ne se résume pas seulement à quelques formes qui seraient totalement électro ou totalement tournées vers le passé, précise l’artiste. D’où le fossé, d’une part, entre toutes les rééditions de ces labels occidentaux qui sont des productions datant d’il y a vingt, trente, quarante ans, et, d’autre part, une modernité qui se résumerait à l’électro ou au rap dans les musiques urbaines. Entre les deux qu’est-ce qu’il y a ? Pas grand-chose. Le panafricanisme musical doit se créer à partir du constat de ce vide. En tout cas, c’est ce que j’essaie de faire en rapprochant ces deux univers. Je travaille beaucoup dans ce sens : chercher un son vers le futur. »