Dans les bidonvilles de Kinshasa survivent, selon les estimations, entre 10 000 et 25 000 enfants des rues. Une telle constatation semble, au premier abord, esquisser le cadre d’un documentaire alarmant ou d’un drame social. Ces enfants, localement appelés shégués, sont chassés de leur maison parfois dès l’âge de 7 ans par des parents trop pauvres pour les nourrir ou parce qu’ils les considèrent, sous l’influence de pasteurs autoproclamés des Églises de réveil qui pullulent dans la ville, comme des sorciers. Une fois dans la rue, ces enfants n’ont d’autre choix pour subsister que de se tourner vers des boulots de misère, la petite délinquance, voire la prostitution. Ils sont entourés d’habitants qui leur vouent haine et dédain et une police violente et corrompue.
Si Kinshasa Kids, le film du Belge Marc-Henri Wajnberg, est alarmant, il choisit cependant de ne pas s’appesantir sur le côté dramatique de la situation. Au contraire, le réalisateur a décidé, après de fréquents séjours dans la capitale congolaise, de mettre en avant une population d’abord optimiste et volontaire face à l’adversité. Son film nous place à hauteur d’enfant au sein d’une bande de shégués qui, au contact d’un musicien professionnel fantasque appelé Bebson de la Rue, vont tenter d’échapper à leur condition en formant un groupe de musique.
Imaginé d’abord comme un documentaire sur la ville et sa musique, le film s’est transformé en une fiction au fil des séjours à Kinshasa du réalisateur. Écrit et mise en scène, son opus reste intimement connecté à la réalité, car tourné directement sur les lieux de l’action avec de vrais enfants des rues recrutés sur place. Bebson est aussi un vrai personnage de la scène musicale kinoise, et on assiste même à une courte apparition du célèbre chanteur de soukouss Papa Wemba, dans son propre rôle. Marc-Henri Wajnberg s’attache à donner de la véracité à son film et refuse de cacher les détails les plus sordides de la vie des shégués.
Au-delà de l’accablant constat que tout spectateur – même le moins averti – peut faire à sur la capitale congolaise, Kinshasa Kids laisse transparaître une ville vivant au rythme de la musique, emplie d’adultes et d’enfants beaux dans leur solidarité, leur optimisme et leur sens de la débrouillardise. Ainsi un shégué de cette bande, qui s’est nommée Le Diable n’existe pas, révèle, dans une scène touchante, ce qui a motivé le groupe à se lancer dans la musique : « Devenir un homme devant les gens, aider les familles dans le besoin. » Et un autre d’ajouter : « Devenir Michael Jackson », comme pour rappeler qu’aussi dure soit leur vie, ils restent des enfants, avec des rêves d’enfants.
Kinshasa Kids est à leur image : optimiste, ensoleillé, émouvant. Dernier mérite et non des moindres : si les personnages s’en sortent grâce à la musique, les acteurs pourraient bien échapper à leur condition grâce au cinéma, comme la jeune Rachel Mwanza, ours d’argent au Festival de Berlin 2012, qui vient prouver ainsi que tout est possible à Kinshasa, Kin-Poubelle, mais aussi Kin-la-Belle.
Kinshasa Kids, de Marc-Henri Wajnberg, franco-belge, 1 h 25, avec Emmanuel Fakoko, Rachel Mwanza, Gabi Boleng, Gauthier Kikolo, Bebson Elemba…