Là où la route passe, le développement suit, dit-on. Pour le nouveau président guinéen, Alpha Condé, la route du développement de la Guinée, c’est d’abord la voie ferrée. L’histoire retiendra, en effet, que le premier grand chantier effectivement lancé par le professeur Condé aura été celui de la reconstruction de l’ancienne ligne de chemin de fer Conakry-Kankan.
La cérémonie de pose de la première pierre avait un air d’inédit. À côté du chef de l’État ne se tenait pas un dirigeant de multinationale européenne (principalement française comme de coutume), mais l’ancien numéro un brésilien Lula da Silva, invité de la compagnie brésilienne Vale, retenue pour les travaux. L’instant était plein d’émotion, surtout pour les Guinéens les plus âgés, qui se sont souvenus de ce célèbre chemin de fer Conakry-Kankan, long de plus de 600 km, qui a rythmé la vie du pays jusqu’au milieu des années 1980, avant de faire les frais, progressivement, de la descente aux enfers du pays. Fierté nationale d’alors, la voie ferrée était devenue l’un des symboles du mal guinéen : vandalisée à grande échelle, la voie n’avait plus rien de ferrée, les rails ayant été enlevés sur pratiquement tout le tronçon, et vendus par des citoyens cupides.
Plusieurs fois programmés au cours des dernières années, les différents projets de reconstruction n’avaient pas échappé à la corruption et à la mauvaise gouvernance de l’époque, de hauts responsables étant alors allés jusqu’à mentir sur la largeur réelle de la voie à réhabiliter en annonçant qu’elle était aux standards internationaux, alors qu’elle était largement en deçà. D’où le ton ferme employé par le président Condé au moment de lancer le chantier qui, tout en marquant son attachement à la coopération Sud-Sud, n’a pas manqué d’enjoindre la compagnie brésilienne d’achever les travaux avant cinq ans, menaçant même de trouver d’autres partenaires si les travaux n’avançaient pas suffisamment vite.
L’importance de ce chemin de fer dans l’économie guinéenne est vitale. Kankan, capitale du pays malinké en Haute Guinée (dont est originaire le chef de l’État), est à la fois une grande région agricole et un important centre commercial. Seulement, en raison de l’insuffisance d’infrastructures de transport, les produits avaient du mal à parvenir sur les marchés de grande consommation, dont celui de Conakry, tandis qu’au même moment, le pays était obligé d’utiliser ses devises pour financer l’importation de denrées alimentaires de grande consommation. C’est pourquoi, assure-t-on dans l’entourage du chef de l’État, pour Alpha Condé, la reconstruction de la Guinée qui est au cœur de son programme quinquennal de gouvernement passe obligatoirement par la mise à niveau des infrastructures routières et des plateformes de transport du pays, afin d’ouvrir davantage sur l’hinterland mais aussi favoriser le raccordement de la Guinée aux flux commerciaux régionaux, source potentielle de valeur ajoutée. « Le chemin de fer est une priorité pour nous. Notre ambition est d’envoyer le train jusqu’à Lola pour permettre l’écoulement rapide des produits locaux. Après Kankan et Kérouané, nous allons voir comment raccorder le chemin de fer guinéen au Mali puis à Bobo Dioulasso [au Bukina Faso, ndr] », a expliqué Alpha Condé. « Toutes les infrastructures appartiendront à la Guinée. Nous voulons aussi que tous nos produits passent par nos propres ports », a également insisté le chef de l’État guinéen.
On comprend mieux alors l’importance que revêt le plus important port du pays, le port de Conakry, dans le schéma de renaissance économique de la Guinée, qui justifie que le Pr Condé ait tenu à s’impliquer dans sa remise en ordre, après des décennies de léthargie. La gestion du terminal à conteneurs du port a ainsi été retirée au groupe Necotrans et confiée à un autre Français, Vincent Bolloré, dont l’expertise dans ce domaine est appréciée sur le continent. Certes l’ancien adjudicataire a annoncé qu’il porterait plainte pour dénoncer la transaction, mais l’État guinéen compte bien utiliser comme il se doit les 500 millions de dollars de l’opération, à un moment où les caisses sont quasiment vides, alors que les chantiers sont nombreux. Avec un port de Conakry tournant à plein régime, Alpha Condé espère constituer rapidement une alternative aux pays sans littoral comme le Mali qui effectuaient leurs transactions par le port d’Abidjan en Côte d’Ivoire, mais doivent se réorienter ailleurs en raison de la situation politique délicate que traverse ce pays.
L’autre grand chantier auquel s’attelle Condé est celui de l’énergie. Seules deux centrales de faible puissance tournent dans le pays. Ce qui est nettement insuffisant pour développer une industrie performante et alimenter convenablement les foyers guinéens, lesquels font face à de fréquentes interruptions de la fourniture de courant électrique. L’ambition du président est de réhabiliter les quatre autres centrales qui manquent à l’appel, et même d’en réaliser de nouvelles. Déjà, un projet d’électrification rurale est à pied d’œuvre et concernera, dans une première phase, une trentaine de localités rurales du pays. L’objectif est d’atteindre au moins un taux d’électrification en milieu rural de 15 % dans quatre ans, contre 3 % actuellement, et de réduire de 48 à 20 % la perte d’énergie sur le réseau.
L’agriculture constitue aussi un sujet de fixation chez Condé, qui a promis tout au long de sa campagne, des actions d’envergure pour développer la production agricole du pays, et éloigner définitivement le spectre de la famine et de la spéculation sur les prix des produits agricoles importés, dont le riz, objet de mouvements sociaux à répétition. La FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) a d’ores et déjà promis aider le pays dans ce sens, et bien d’autres bailleurs de fonds internationaux, qui ont repris confiance dans la Guinée, comme la Banque mondiale ou la Société financière internationale, annoncent d’importants concours financiers et techniques.
Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. Cette sagesse populaire, Alpha Condé tient à la mettre en œuvre au plus vite, lui qui travaille actuellement à réunir en mai prochain à Bruxelles, une conférence de donateurs internationaux pour financer la reconstruction de la Guinée. Les Guinéens qui fondent beaucoup d’espoirs sur cette conférence attendent de voir.