À Maputo, au Mozambique, tout comme à Dar es-Salaam, en Tanzanie, les ministres de l’Énergie ne savent plus où donner de la tête depuis plusieurs semaines. Les forages des compagnies étrangères, en effet, ont permis de localiser plusieurs gisements de gaz dans l’océan Indien. Et les quantités estimées sont gigantesques. Au point de changer les perspectives économiques des années à venir. Ainsi, le Fonds monétaire international (FMI) – qui avait eu vent du potentiel – place le Mozambique et la Tanzanie respectivement au 4e et 5e rang mondial en matière de taux de croissance annuel moyen pour la période 2011-2015. Le PIB du Mozambique devrait croître au rythme moyen de 7,7 % par an, et celui de la Tanzanie de 7,2 %.
Si les façades mozambicaine et tanzanienne de l’océan Indien avaient déjà offert un aperçu de leur potentiel gazier ces dernières décennies (en Tanzanie, les premiers gisements ont été localisés au milieu des années 1970), la donne change à présent radicalement. Grâce aux découvertes faites au large du sud-est du pays, la Tanzanie pourrait devenir exportatrice de gaz d’ici à une dizaine d’années. C’est en tout cas l’avis des cadres de Statoil, l’entreprise norvégienne à l’origine de nombre de découvertes ces derniers mois dans le pays. « Les gisements localisés représentent un pas important vers la production de gaz naturel en Tanzanie », reconnaît ainsi un employé expatrié de Statoil à Dar es-Salaam, tout en n’oubliant pas de préciser : « Les infrastructures font défaut, et les investissements à faire sont très élevés. »
La Tanzanie a déjà délivré une trentaine de licences d’exploration à des groupes venus du monde entier, de la France à l’Australie en passant par l’Inde et le Brésil. Et ce n’est pas fini, nous confirme Yona Killagane, de la compagnie d’État Tanzania Petroleum Development Corporation (TPDC), qui a des parts dans les explorations en cours. « Avant la fin de l’année, une dizaine de nouveaux blocs seront à saisir, suite à un appel d’offres. Nous pouvons donc en attendre de nouvelles découvertes », prévient-il.
Au Mozambique, c’est la compagnie italienne Eni qui a fait des découvertes géantes en gaz depuis le début de l’année. Comparé à la Tanzanie, le Mozambique est encore plus richement doté en réserves gazières. Eni l’appelle même « le nouveau pays des hydrocarbures ». Pour les Italiens, ces découvertes successives annoncent des lendemains heureux. C’est proche de la ville de Nacala, à une cinquantaine de kilomètres des côtes, que les forages se sont avérés les plus fructueux. L’américain Anadarko n’est pas en reste et compte, comme Eni, accrocher de joyeuses pépites à son tableau de chasse.
Pour le Mozambique et la Tanzanie, le challenge est le même : comment capitaliser sur le gaz pour réduire la pauvreté et satisfaire la population ? Déjà, les revenus qui en sont issus n’auront rien à voir avec ceux d’aujourd’hui, même si l’or, en Tanzanie par exemple, apporte aux caisses de l’État plus d’un milliard de dollars de recettes par an – au même titre que le tourisme. « Les réserves tanzaniennes de gaz sont estimées à 15 trillions de pieds cubes, précise Jacques Morisset, de la Banque mondiale, soit près de 150 milliards de dollars au prix actuel. Cette somme représente plus de six fois le PIB actuel du pays de 22 milliards de dollars. »
Toujours selon Morisset, c’est en partant dès à présent sur de bonnes bases que la Tanzanie sera bénéficiaire à terme de l’exploitation de son gaz. « De bons partenariats avec les firmes étrangères sur la production et des techniques maîtrisés dans ce domaine sont en mesure de doper l’économie. Selon nos prévisions et les négociations qu’il faudra mener, la Tanzanie peut recevoir au moins 40 % des revenus générés par le gaz ». « L’économie tanzanienne risque d’être fortement bouleversée, confie quant à lui un cadre de l’entreprise brésilienne Petrobras, à Dar es-Salaam. Certains Tanzaniens, parmi les plus qualifiés, se verront proposer des emplois avec de hauts salaires en comptabilité, ingénierie ou ressources humaines. C’est déjà le cas à Petrobras où ils sont une cinquantaine », rapporte-t-il.
Déjà, de nombreux experts et intellectuels dans ces deux pays appellent à rester vigilant, craignant une aggravation de la corruption. Selon Rakesh Rajani, qui anime le laboratoire d’idées Twaweza à Dar es-Salaam, « le gouvernement devra gagner en transparence sur les revenus qui découleront de l’exploitation du gaz ». Lors d’un forum sur la gestion des ressources naturelles dans le pays, qui s’est tenu début septembre, certains observateurs ont mis en garde contre la colère grandissante au sein de la population, lassée des annonces vaines et dont le tiers des 45 millions de Tanzaniens vit toujours sous le seuil de pauvreté. « Nos leaders vendent le pays pour leurs gains personnels. Ils n’ont aucun sentiment pour leurs compatriotes », a ainsi lancé à la tribune un professeur de l’université de Dar es-Salaam, Chris Maina. Ce dernier souhaiterait par ailleurs voir la population se saisir du débat actuel sur la nouvelle Constitution – attendue pour 2014 – pour y glisser un droit de regard sur l’utilisation des ressources naturelles du pays.
Même au sein des sociétés gazières, certains semblent s’inquiéter de l’avenir, pas convaincus par une issue heureuse des taux de croissance. « Je me demande si les compagnies et l’État pensent à ce qu’ils font, s’interroge un Tanzanien employé par une société étrangère à Dar es-Salaam. L’argent du gaz va inévitablement creuser les inégalités, déjà très fortes. À Dar es-Salaam, le vol et le car-jacking sont des réalités quotidiennes. Il y a fort à parier que des jeunes en colère et désœuvrés se montreront prêts à tout pour prendre ne serait-ce qu’une petite part du gâteau. »
Ce boom tant attendu a déjà son revers de la médaille, et il est environnemental. En mars dernier, l’organisation WWF appelait le gouvernement tanzanien à plus de vigilance : certaines explorations gazières, non loin de l’île de Mafia, ne respecteraient pas toutes les normes. Des centaines de poissons ont en effet été retrouvés morts par les habitants de l’île, qui manifestent par ailleurs leur volonté d’être tenus au courant des opérations en cours. Malgré leur appel, les firmes australienne et française, travaillant dans la zone en question, n’ont jusqu’à présent pas fait preuve de coopération.
Le Mozambique, lui, vit le temps de son décollage économique, deux décennies après la fin de la guerre civile. La croissance y est même encore plus élevée qu’en Tanzanie. Le pays figurait parmi les dix premiers mondiaux sur la période 2001-2010, selon le FMI, avec un taux de croissance annuel moyen de 7,9 %. Le Brésil, le Portugal – l’ancien colon –, la Chine et la Corée du Sud font partie des plus gros investisseurs. Les taxes prélevées sur les activités des multinationales sont appelées à gonfler le PIB, actuellement de seulement 12 milliards de dollars pour 23 millions d’habitants, dont la moitié vit sous le seuil de pauvreté.
Le gaz permet déjà d’embaucher, de faire travailler les sous-traitants locaux, et des rentrées conséquentes pour un pays dont le budget dépend encore à 45 % des aides internationales. À Maputo, au ministère de l’Industrie, on s’estime prêt à travailler avec les sociétés étrangères tout comme à veiller à ce qu’elles respectent la législation mozambicaine sur le paiement des taxes. Le Mozambique a d’ores et déjà décidé d’interdire la vente des parts et des droits des sociétés opérant dans le pays à des compagnies étrangères. Toutes les transactions devront se faire sur le sol national entre des sociétés enregistrées auprès des autorités de Maputo. Est-ce que cette décision sera suivie ? Il faudra attendre un peu avant de voir des résultats tangibles.
La Tanzanie, elle, est enfin dans l’attente de découvertes majeures en pétrole, après celles en gaz. Le français Total a remporté au mois d’août l’appel d’offres pour l’exploration dans le lac Tanganyika. Au lac Nyasa, une dispute oppose la Tanzanie à son voisin, le Malawi. Ce pays, qui se base sur les frontières coloniales de 1890, s’est en effet approprié l’intégralité du lac quand la Tanzanie en revendique la moitié. Si aucune découverte notoire n’a été réalisée, l’exploration pétrolière a cependant été lancée par le Malawi. Et les deux pays négocient âprement afin de trouver une issue à cette querelle de frontière.