Le Sahel est-il devenu, après l’Afghanistan, la Somalie, le Yémen et l’Irak, le nouveau point de ralliement des disciples de Ben Laden ? Le désormais médiatiquement célèbre Al-Qaïda au pays du Maghreb islamique (Aqmi) représente-t-il vraiment une menace pour les pays du Sahel et du Maghreb, et au-delà pour l’Europe dans son ensemble ?
Si la série d’enlèvements de ressortissants occidentaux, à haute valeur ajoutée pour les divers groupes mafieux, terroristes ou irrédentistes qui semblent avoir élu domicile dans cette immense région traversant une dizaine de pays, vaste de plus de dix millions de kilomètres carrés, l’accrédite, il faut cependant raison garder. Car ce ne sont pas quelques dizaines de terroristes, en mal de cause, reconvertis dans le grand banditisme, refusant, contre toute évidence, de s’avouer vaincus dans les pays où ils avaient longtemps sévi, dans les pays du Maghreb et ailleurs, qui vont bouleverser l’échiquier géopolitique de la région.
Il serait toutefois risqué de minimiser les dégâts pour la stabilité de la région que pourraient entraîner certains traitements à courte vue de ce phénomène. En versant, ces dernières années, des rançons – que certains évaluent à 150 millions d’euros – à ces groupuscules terroristes et mafieux, en contrepartie de la libération d’otages, les pays européens concernés (Italie, Espagne, Autriche, Grande-Bretagne, France…) ne prennent-ils pas le risque de les encourager à développer une activité qui s’avère très lucrative et à se donner les moyens d’élargir leur champ d’action, aidés par une médiatisation outrancière ?
À peine l’enlèvement connu, au Niger, le 15 septembre dernier sur le site minier d’Arlit, mal contrôlé par Areva, de sept personnes (un Malgache, un Togolais et cinq Français), n’est-il pas choquant d’entendre le ministre français de la Défense, Hervé Morin, annoncer sur les ondes que le « souci de la France était de pouvoir entrer en contact avec Al-Qaïda » et « d'avoir des revendications que nous n'avons pas » ?
Certes, l’impératif de sauver des vies humaines est louable et moralement compréhensible. Ce qui l’est moins, c’est le faire « tant et si mal » qu’on prend le risque d’inciter les preneurs d’otages à persévérer dans cette voie et à entraîner les États dans une spirale de marchandage et de surenchères qui se traduit inévitablement par de nouvelles prises d’otages. Plutôt que de se cantonner au traitement de l’immédiat et du court terme, n’est-il pas plus productif de traiter ces problèmes à la racine ?
Il faut être intraitable avec le terrorisme, mais il faut l’être également avec ses causes. Or l’implantation et le développement de ces groupes dans la zone sahélo-saharienne ont été, en premier lieu, favorisés par la défaillance des structures étatiques de certains pays qui la composent. C’est en l’occurrence le cas du Niger, qui a été le théâtre de la dernière prise d’otages. Le manque de coordination des États concernés par ce nouveau fléau, dont certains sont soumis à de fortes pressions extérieures, est également un obstacle majeur à l’éradication du phénomène. Il faut y ajouter, last but not least, la volonté des acteurs européens de continuer à peser lourdement sur la destinée de ces pays fragiles. Comme nous l’écrivons dans ce numéro, « Bamako, Nouakchott et Niamey, empêtrés dans de faux calculs sur le soutien qu’ils espèrent obtenir de Paris, traînent des pieds pour mettre en place la force régionale commune antiterroriste. L’idée a été lancée par l’Algérie, afin de couper l’herbe sous le pied de toute intervention étrangère, selon les recommandations de l’UA. Ils risquent de payer ce retard très cher ».
On le voit aujourd’hui avec la dernière opération revendiquée par l’Aqmi qui a amené les chefs d'état-major de quatre pays du Sahel (Algérie, Niger, Mali et Mauritanie) à se réunir en urgence, le 26 septembre, à Tamanrasset, dans le Sahara algérien, pour « donner un nouveau départ à la stratégie de lutte commune contre le terrorisme et le crime organisé dans la sous-région ».
Cette stratégie sécuritaire, décidée il y a un an mais non encore respectée, sera-t-elle enfin effectivement mise en application sur le terrain ? Il y va, en tout cas, de la survie même de certains régimes qui ont rechigné jusqu’ici à respecter les engagements pris en août 2009 à Tamanrasset même.
Mais l’approche sécuritaire, aussi nécessaire soit-elle, est loin d’être suffisante. La coordination politique est primordiale pour éradiquer ce fléau. L’intervention de la France et de la Mauritanie en territoire malien en juillet dernier, qui s’est soldée par un fiasco puisqu’elle a causé la mort de l’otage qu’elle était censée libérer et qu’elle a fragilisé le Mali voisin, est le genre de conduite à bannir.