Les bruits de bottes alternent avec les déclarations d’apaisement depuis que le Nord du Mali est tombé aux mains de groupes djihadistes alliés d’Al-Qaïda. Entre deux options, militaire ou politique, les chefs d’État du voisinage – les plus concernés par la menace islamiste – balancent. « Y aller » ou pas pour déloger les organisations terroristes et mafieuses qui exercent leur loi sur ce vaste territoire désertique plus grand que la France ? Un espace conquis sans coup férir par les Touaregs du MNLA, le Mouvement national de libération de l’Azawad – nom qu’ils donnent au Nord malien – à la faveur du coup d’État militaire à Bamako le 22 mars, avant d’en être chassés par les affidés d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Mais y aller avec quelles troupes, et sous quel drapeau ? Ces questions continuent à tarauder les responsables politiques et militaires de l’Union africaine (UA), plus impuissante que jamais, mais aussi Washington et surtout Paris, dont les intérêts sont loin d’être négligeables dans la région.
Maître du jeu, Aqmi s’appuie sur Ansar Dine (« Défenseurs de l’islam ») et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Les deux groupes contrôlent trois grandes villes : Gao, Tombouctou et Kidal. Ils recrutent par centaines des jeunes, qu’ils entretiennent grâce à l’argent des rançons payées en échange de la libération d’otages occidentaux et des revenus du juteux trafic de cigarettes. Le Mujao a récemment libéré trois otages européens : deux Espagnols, dont une femme, et une Italienne, enlevés en octobre 2011 près de Tindouf, contre une rançon de 15 millions d’euros. Les salaires des jeunes recrues peuvent atteindre 1 000 euros par mois, une somme très confortable. Leur nombre ne cesse de grandir. Ils affluent de partout : Mali, Somalie, Côte d’Ivoire, Sénégal, Gambie, Guinée, Mauritanie, Niger. Selon le Centre de recherches sécuritaires américain, AGWoold, le nombre des terroristes au Sahel aurait été multiplié par 20 entre 2010 et 2012, passant à plus de 6 000 hommes. Ils se comportent comme en pays conquis, se livrant à des pillages et à la destruction de mausolées de saints vénérés, ainsi qu’à des exactions contre la population : un couple non marié a été ainsi lapidé à Aguelhok, ville tombée entre les mains d’Ansar Dine.
Malgré le changement de locataire à l’Élysée, c’est la « doctrine Sarkozy » qui semble encore prévaloir à Paris. S’il faut intervenir militairement pour chasser les intrus et prévenir la dissolution du Mali, cette solution passera par l’implication directe des Africains, la France fournissant le cas échéant un appui logistique aux troupes africaines. « C’est aux Africains de décider ce qu’ils ont à faire », a déclaré François Hollande, rappelant que le Conseil de sécurité de l’Onu a exprimé « son plein soutien aux efforts que déploient la Cedeao [Communauté des États d’Afrique de l’Ouest] et l’Union africaine au Mali ». Aussi prudent, mais plus précis, son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, de retour d’une tournée éclair au Niger, Burkina Faso, Sénégal et Tchad pour étudier les moyens de chasser les islamistes incrustés dans le Nord du Mali, a « exclu d’envoyer des troupes au sol lors d’une éventuelle intervention militaire ». « Pour le moment, il faut d’abord qu’il y ait une solution politique », a-t-il affirmé, estimant qu’il fallait attendre les résultats du retour au Mali de Dioncounda Traoré, le président intérimaire, imposé aux putschistes par leurs voisins. Il était venu se faire soigner à Paris en mai après avoir été agressé par des manifestants favorables aux auteurs du coup d’État.
La France, qui a accéléré le retrait de ses troupes d’Afghanistan pour des raisons stratégiques et économiques, n’envisage pas, par temps de crise financière, d’engager dans l’immédiat ses armées sur d’autres théâtres d’opération. « Il n’est pas question que des troupes françaises se substituent aux Africains, mais nous devons jouer un rôle politique, international, de facilitateur parce que tout ça nécessitera une approbation des Nations unies. » Laurent Fabius ne dit pas en revanche, si intervention il y a, que des agents du Renseignement extérieur français seraient déployés sur le terrain. Même si elle en a retiré de nombreuses troupes ces dernières années dans le cadre de plans d’économies et d’accords politiques, l’armée française dispose encore de plusieurs bases permanentes en Afrique, dont la principale se trouve au Gabon. Si la France marche sur des œufs, c’est aussi parce que les islamistes détiennent six ressortissants français en otage, deux au Mali et quatre au Niger, enlevés depuis septembre 2010. En cas d’intervention leur sort ne serait pas garanti.
Le plus pressant des partisans de l’option militaire reste le président de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, actuel président de la Cedeao. « Il y a urgence. Je pense que nous pouvons parler en semaines et non en mois » », a-t-il dit. Selon lui, les chefs d’état-major des armées de la Cedeao sont d’accord pour envoyer au moins 3 300 hommes au Mali : policiers, gendarmes et militaires, pour y déloger les islamistes. Cependant si le principe est acté et les plans d’attaque prêts, encore faudrait-il l’appui d’une force internationale sous l’égide de l’Onu. L’accord sur cette force, acquis sur le papier, reste à confirmer.
Sur l’autre versant, l’Algérie, dont Nicolas Sarkozy disait qu’elle avait « les clés de l’ensemble des données du problème », reste foncièrement attachée à une solution politique intégrant toutes les parties, hors terroristes, qui aboutirait au rétablissant de l’ordre constitutionnel mis à mal par le coup d’État militaire, et à préserver l’intégrité territoriale du Mali. Elle s’oppose à toute intervention militaire étrangère à ses confins sahariens, ne veut pas entendre, sous prétexte d’insécurité, d’installation d’une quelconque base militaire étrangère dans la région et exclut de lancer son armée dans une opération au nord du Mali. Au grand regret de Paris et de ses alliés africains qui ne cessent de répéter en coulisse que « sans l’appui d’Alger, on ne pourra pas monter une opération militaire » et de multiplier les appels du pied au président Abdelaziz Bouteflika, resté ferme sur ses positions.
En visite à Alger à la mi-juillet, Laurent Fabius en a reçu confirmation. Alger, qui entretient de solides réseaux diplomatiques dans la région, avait chapeauté les accords entre Bamako et les rebelles touaregs en 1991-1992 et en 2006. Elle n’ignore pas que l’option politique sera longue à se dessiner. Un premier résultat peut être mis sur cette diplomatie discrète : le MNLA a annoncé qu’il abandonnait son projet de sécession au profit d’une « indépendance culturelle et économique ». Il veut que l’Azawad ressemble au Québec au sein du Canada.