Catherine Samba-Panza ? Une presque inconnue jusqu’à ce 20 janvier 2014, date à laquelle elle a été élue à la présidence de la République centrafricaine. Le Conseil national de transition, institution intérimaire à la tête de la Centrafrique, avait édicté dix-sept règles strictes pour être éligible. Pour son président, Alexandre-Ferdinand Ngendet, il s’agissait avant tout de ne pas « plomber » l’indispensable réconciliation nationale. Par conséquent, le candidat ne devait avoir été ni ministre de la transition, ni homme politique, ni chef de parti, ni leader d’une quelconque rébellion, ni militaire. Huit dossiers sur vingt-quatre ont été jugés recevables, et c’est Catherine Samba-Panza, la maire de Bangui, qui a été élue au second tour par 75 voix contre 53 pour son jeune adversaire, Désiré Kolingba, fils de feu l’ancien chef de l’Etat André Kolingba.
Née à Ndjaména (Tchad) le 26 juin 1956 d’un père camerounais et d’une mère centrafricaine, elle a fait ses études à Paris, jusqu’à obtenir un diplôme de second cycle en droit des assurances à la faculté d’Assas. De retour à Bangui, elle travaille pour la filiale centrafricaine du groupe Allianz puis ouvre son propre cabinet de courtage. Epouse de Cyriaque Samba-Panza, un homme politique plusieurs fois ministre sous les présidents André Kolingba et François Bozizé, elle est mère de trois enfants.
En mai 2013, deux mois après le renversement de Bozizé, elle est nommée à la tête de la municipalité de Bangui. Engagée dans la lutte pour le droit des femmes, militante d’Amnesty International, Catherine Samba-Panza hérite d’une ville martyrisée, déjà bien endommagée par les pillages et l’insécurité. Courageusement, elle tente de nouer des partenariats de développement, adhère à l’Association internationale des maires francophones (AIMF), un réseau d’élus locaux de 48 pays. A ce titre, elle s’était rendue à Paris pour l’assemblée générale des 15 et 16 novembre derniers, afin de participer à un colloque sur les actions possibles en faveur de l’économie sociale, excellent moyen, selon elle, de remettre debout la capitale centrafricaine.
C’est une toute autre tâche qui l’attend désormais, d’une ampleur inégalée. Après les scènes de liesse incroyable qui ont eu lieu dans les rues de Bangui à l’annonce de la démission du chef de l’Etat Michel Djotodia, le 10 janvier dernier, les violences ont repris, provoquant toujours plus de dégâts matériels et humains. On ne compte plus les cambriolages et le nombre de magasins mis à sac, les viols et les assassinats sont quotidiens tant en ville que dans les provinces. Les personnes déplacées affluent quotidiennement et sont pour l’instant véritablement « parquées » sur les terrains qui jouxtent l’aéroport et le camp Mpoko, où les humanitaires ont un mal fou à leur fournir le minimum vital. La promiscuité, la violence, l’insalubrité sont leur lot commun et la proximité de la garnison française leur assure à peine une sécurité toute relative.
La nouvelle présidente va donc devoir renverser la situation, et tout d’abord faire en sorte que cessent les exactions. Ses premières paroles d’élue sont allées en ce sens : elle a appelé ses compatriotes, ses « enfants », qu’on les nomme ex-Séléka ou anti-Balaka, à déposer leurs armes. Pour les y encourager maintenant, elle dispose des 6 000 soldats de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (Misca), les 1 600 Français de l’opération Sangaris et bientôt un nouveau contingent de 500 hommes envoyés par l’Union européenne.
Leur nombre ne rend cependant pas leur mission plus facile. Ils ont en effet affaire à des civils, même si on les appelle « miliciens », armés de méchantes kalachnikovs mais extrêmement mobiles, rapides, déterminés et qui ont soin de commettre leurs forfaits de préférence loin des patrouilles… Indifférents à la présence des véhicules blindés qui sillonnent la ville de part en part, ils règlent leurs comptes avec une froide détermination et disparaissent dans les quartiers une fois leurs forfaits accomplis, va-nu-pieds parmi les va-nu-pieds. On prête à nombre de ces groupuscules indépendants, sans leader autre que leur chef de bande, des revendications identitaires et religieuses dont, pour certains, ils ignorent tout. Ils se rassemblent grâce à un sentiment communautaire parfois très vague et commettent leurs crimes parce que des crimes ont été commis contre eux. Il est donc très difficile de les faire asseoir à une quelconque table de négociation. Il va donc falloir user de persuasion et la parole de la présidente Samba-Panza, relayée par les différents organes de la société civile, les chefs traditionnels et les religieux de tous horizons, pourrait bien faire la différence avec celle de son prédécesseur, à qui nul n’obéissait plus et qui avait fini par vivre reclus, protégé nuit et jour par une garde prétorienne payée prix d’or sur ses deniers personnels.
Certes, Catherine Samba-Panza a pour horizon l’organisation de futures élections, transparentes et démocratiques, mais elle sait aussi de rien ne pourra se faire si la situation sécuritaire ne s’améliore pas en ville, et à la campagne. Pour cela, elle compte sur la « peur du gendarme », ou plutôt du soldat en l’occurrence, mais aussi sur un sursaut patriotique, une volonté de « refaire la nation » autour d’elle et avec elle. Ce sentiment, elle le connaît par son passé de militante en faveur de l’économie solidaire. Elle pense être capable de convaincre les paysans de repartir vers leurs terres afin qu’ils assurent la subsistance du pays, même si elle compte aussi sur l’aide des grandes agences des Nations unies, Programme alimentaire mondial en tête. Quant au travail, elle sait qu’il y en aura pour tout le monde, ne serait-ce que pour reconstruire ce que les pillards ont détruit ou incendié. Dans certains bâtiments publics, tout ce qui ne pouvait être emporté a été réduit en miettes, jusqu’aux revêtements des murs et des sols. Mais bien sûr, il lui faut de l’argent. L’Union européenne et les Nations unies ont déjà accepté de débloquer 500 millions de dollars pour les premiers besoins. C’est maigre, mais c’est un petit pas en avant.
Toutefois, ne nous y trompons pas. La présidente de la république est peut-être l’homme providentiel de la Centrafrique, elle n’en est certainement pas le nouveau messie. Elle ne peut tout faire toute seule. Les hommes et les femmes qui constituent son équipe gouvernementale vont donc devoir faire preuve du même sens profond du service public qu’elle-même, de la même intégrité et de la même inspiration pour satisfaire les aspirations d’une population en manque de repères. Or ces valeurs d’altérité, c’est peut-être ce qui a manqué le plus à la classe politique centrafricaine jusqu’à présent. Il suffit d’observer dans quel silence assourdissant est tombé le premier appel à candidature pour cette présidence par intérim : aucun ténor politique ne s’est manifesté, tous savaient qu’ils ne pourraient se présenter ensuite à l’élection présidentielle. Au moment où le pays avait le plus besoin de leur compétence, il n’ont vu que leur destin personnel. On remarquera donc qu’avant d’être éliminés de la liste des présidentiables faute de satisfaire à tous les critères, l’ancienne ministre du Commerce et de l’Industrie Emilie-Béatrice Epaye, ou encore l’ancien ministre de la Défense Jean-Jacques Demafouth, n’étaient pas mus par le même genre d’ambition.
On dit de Catherine Samba-Panza qu’elle était proche de feu le Pr Abel Goumba : elle hérite en tout cas d’une situation qui n’est pas sans rappeler celle que ce dernier a connue en mars 2003, lorsqu’il est devenu Premier ministre d’un François Bozizé putschiste qui venait d’évincer Ange-Félix Patassé. Comme lui, elle va devoir remettre sur les rails un pays en pleine déliquescence, un non-Etat.