Demain ? Dans huit jours ? Dans deux mois ? L’incertitude, comme le chaos en Centrafrique, est contagieuse : l’état-major de l’armée française a du mal à répondre quand on le questionne sur la date de déclenchement de l’intervention qui se prépare. Quoi qu’il en soit, le bateau de projection et de commandement (BPC) Dixmude est arrivé dans le golfe de Guinée. À son bord, deux hélicoptères Gazelle, des véhicules et quelque 300 soldats destinés à renforcer le dispositif en place à Bangui. Car les Français connaissent déjà le terrain : depuis dix ans ils y sont environ 200, stationnés dans le camp M’Poko qui jouxte l’aéroport. Leur mission : apporter un soutien logistique, administratif, technique, voire opérationnel, d’abord à la Mission de consolidation de la paix en République centrafricaine (Micopax), qui s’est transformée depuis le 1er août 2013 en Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca). En cas grave, ils sont également équipés et mandatés pour protéger les intérêts et les ressortissants français.
En mars 2013, le contingent avait reçu une première vague de renforts : deux compagnies, ainsi que l’état-major technique du 6e Bataillon d’infanterie de marine (Bima) en provenance du Gabon. L’effectif était alors passé de 240 à 550 hommes. Cette opération nommée Boali était destinée à prêter main-forte à la Force multinationale d’Afrique centrale (Fomac). Depuis, les relèves se sont succédé, mais l’effectif restait le même. Avec les troupes embarquées sur le Dixmude, la France passe à la vitesse supérieure, signe qu’une opération d’envergure va avoir lieu rapidement. Des missions de reconnaissance à l’intérieur du pays ont déjà commencé, et quelques troupes été discrètement prépositionnées dans les villes les plus affectées par les violences. Des commandos de légionnaires vont être dépêchés pour sécuriser les principaux axes routiers menant au Cameroun à l’ouest et au Tchad au nord, deux axes vitaux pour l’économie.
Mais, au grand dam des hommes politiques centrafricains, tous très préoccupés par une situation sécuritaire qui se dégrade inexorablement, tant dans la capitale qu’à l’intérieur du pays, rien ne peut se faire sans une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Celle-ci était attendue dans la foulée du sommet des chefs d’État et de gouvernement sur la sécurité en Afrique, qui se tiendra à Paris les 5 et 6 décembre à l’initiative de l’Élysée. Elle est soutenue par le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, qui demandait depuis plusieurs semaines la mobilisation de plusieurs milliers de Casques bleus. Elle doit aussi beaucoup à l’intervention de Robert Jackson, directeur adjoint du bureau Afrique au département d’État, qui a évoqué « une situation prégénocidaire ».
Ce mot de « génocide », repris par le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, est évidemment employé afin de faire réagir la communauté internationale. C’est bien dommage, car il ne correspond pas du tout à la situation centrafricaine et on ne peut que regretter qu’il soit employé à tort et à travers. Aucune communauté culturelle n’est visée en particulier par des tueurs qui seraient mus par un objectif ethnique ou idéologique et répondraient à une planification. Il ne s’agit pas non plus d’un conflit interreligieux : l’opposition chrétiens-musulmans, qui s’est traduite par des violences en série à l’intérieur du pays, est le produit d’une instrumentalisation irresponsable opérée par des fauteurs de troubles désireux de récupérer ce mécontentement sur un plan politique, comme nous l’avons écrit dans notre numéro du mois de septembre.
En réalité, on assiste plutôt à une croissance exponentielle du grand banditisme, dont les auteurs sont le plus souvent d’anciens rebelles sans autres chefs qu’eux-mêmes et armés jusqu’aux dents, conséquence de l’effondrement de l’État et des dispositifs militaires et policiers.