Sur l’agenda du nouveau président, Ibrahim Boubacar Kéita (IBK), une date figure en gras : le 24 novembre. Ce jour-là, devrait se tenir le premier tour des élections législatives censées renouveler l’Assemblée nationale, et clore ainsi la parenthèse de la transition – en attendant le scrutin municipal.
Pour IBK, ces législatives ont valeur de test grandeur nature. Il s’agira pour le parti au pouvoir, le Rassemblement pour le Mali (RPM), et la coalition qui a porté l’ex-premier ministre au palais de Koulouba (présidence de la République) de confirmer le raz-de-marée de la présidentielle (près de 78 %) en remportant une large majorité au palais du peuple de Bagadadji – nom de ce vieux quartier de la commune II de Bamako, où siège l’Assemblée nationale. Alors même que des groupes armés du Nord, mais aussi des réfugiés n’ayant pas pu prendre part à la présidentielle, appellent à un report du scrutin, les états-majors des principales formations politiques sont déjà en effervescence.
Le fait notable à ce stade, en général, est la fréquence des démissions en cascades de cadres de partis politiques au bénéfice d’autres formations, généralement proches de la mouvance présidentielle. De ce point de vue, les législatives de novembre ne dérogeront pas à la règle localement bien ancrée du nomadisme politique. Un aperçu en avait été donné dans l’entre-deux tours de la présidentielle lorsque, contre toute attente, le candidat de l’Adema avait opté pour un soutien à IBK, alors que son parti avait conclu une alliance avec l’autre candidat du second tour, Soumaïla Cissé. Pour les législatives de novembre, des alliances naguère impensables se nouent entre anciens frères ennemis pour entrer au Parlement. La lutte est encore plus rude s’agissant d’anciens députés désirant se faire réélire. Ils devront batailler ferme pour être investis, en cette période où les populations réclament l’alternance. Pour espérer rempiler, plusieurs anciens habitués du palais de Bagadadji ont dû changer de parti lorsque leur formation initiale a décidé de ne pas les investir.
Ces différents allers-retours et retournements de veste devraient bénéficier au camp présidentiel qui s’étoffe chaque jour de personnalités naguère éloignées d’IBK, devenues subitement membres de la majorité présidentielle. À Bamako, cette tactique a un nom : la politique du ventre, ou encore le soutien alimentaire.
En dehors de ces données incontournables du landerneau politique malien, il faut reconnaître que plusieurs autres facteurs militent en faveur d’une nouvelle victoire du camp IBK le 24 novembre.
Le chef de l’État vit actuellement une période de grâce. Certes, il y a eu des affrontements au nord, des remous dans la garnison indisciplinée de Kati et des remises en cause (verbales), par le mouvement touareg du MNLA, de la feuille de route présidentielle concernant les régions septentrionales. La gestion de ces questions par IBK n’a pas déplu à la majeure partie de ses compatriotes. En campant sur le refus de tout débat au sujet de l’indépendance ou même d’une large autonomie des régions du Nord dans un cadre fédératif, le président Kéita a contenté ses compatriotes du Sud, ainsi qu’une bonne partie des populations du Nord hostiles à toute désintégration du Mali.
En parvenant également à gérer, au mieux jusqu’ici, la fronde des soldats perdus de Kati et l’ego surdimensionné de leur leader, le putschiste Amadou Sanogo, le chef de l’État a marqué des points dans une opinion lassée par les agissements de l’ex-junte. Le départ de Sanogo de son fief et la reprise de la garnison par l’état-major des armées ont été interprétés comme la fin du chaos et le retour de l’autorité de l’État.
Sur le plan économique également, les cieux s’annoncent plutôt cléments. La mission d’évaluation du Fonds monétaire international, qui a séjourné dans le pays fin septembre-début octobre, a annoncé de bonnes nouvelles pour l’économie malienne. Au nombre de celles-ci, la prochaine mise à la disposition d’un nouveau financement de près de 30 milliards de francs CFA pour accompagner la relance économique. Selon l’institution de Bretton Woods, la transition, chaotique, sur le plan politique, n’a pas gravement affecté l’économie. Le Fonds a même apprécié les progrès réalisés dans la maîtrise des dépenses et l’amélioration des recettes malgré la crise. À en croire le chef de la mission, Christian Josz, a mobilisation des recettes aurait dépassé les prévisions du programme, en dépit des événements et de l’occupation du Nord ! Un bon point pour l’ex-président de la transition, Dioncounda Traoré, qui pourrait être utile un jour prochain…
Sous le triple effet de la libération du Nord, de la mobilisation des donateurs internationaux et du déploiement d’une force des Nations unies pour garantir la sécurité, la croissance économique malienne devrait atteindre 5,1 % cette année. L’on se souvient que le PIB s’était contracté à 0,4 % l’an dernier.
Grâce à de bonnes récoltes, le secteur primaire devrait croître de 6 % en 2013, le secteur secondaire s’annonçant stable, avec un repli minier compensé par la croissance d’autres activités. Quant au secteur tertiaire, il se redresserait de près de 7 %. Il est prévu que l’effet de l’aide convenue lors de la conférence des bailleurs de fonds (plus de 3 milliards d’euros de promesses de fonds) se fera pleinement sentir en 2014. Ce qui devrait revigorer davantage la croissance l’année prochaine.
Avec, en plus, une inflation moyenne pour 2013 prévue pour baisser à près de zéro, le gouvernement du premier ministre Tatam Ly dispose de coudées franches pour mener à bien ses missions de reconstruction, dans un contexte social calme.
La Loi de finances de 2014, en débat au Parlement à l’occasion d’une session budgétaire raccourcie, envisage d’importantes réformes. Avec pour principaux objectifs, selon le ministre en charge du Budget, d’accroître le recouvrement des impôts, d’améliorer le climat des affaires, notamment grâce à un accès plus aisé au financement du secteur bancaire et un meilleur approvisionnement en électricité.
Tout semble donc réuni pour que les Maliens, désireux de tourner au plus vite la page des mois passés, envoient au Parlement une large majorité de députés proches de la mouvance présidentielle. Les partis d’opposition entendent bien jouer leur partition. Ils répètent inlassablement qu’il s’agit d’un scrutin de circonscriptions où la personnalité des candidats compte davantage que les partis auxquels ils sont arrimés. Selon eux, tout peut arriver. Leur principal mot d’ordre a des allures de mise en garde : confier tous les leviers du pouvoir à un seul parti comporte des risques de confiscation et de confusion des pouvoirs susceptibles de faire retomber le Mali dans les travers de la « démocratie du consensus » d’Amadou Toumani Touré. Un repoussoir, dans le Mali d’aujourd’hui. Sera-t-il suffisant face au besoin de renforcement de l’autorité de l’État que ressentent bon nombre de Maliens ? Réponse dans les urnes.