C’est un véritable coup de massue que le Niger a reçu, le 23 mai, avec le double attentat perpétré sur son sol, à Agadez et à Arlit, par des kamikazes. Ceux-ci se sont avérés être des combattants du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) qui avait fait savoir, quelques jours plus tôt, qu’il frapperait les intérêts français et les États alliés à la France dans la guerre du nord du Mali.
Deux véhicules piégés ont visé un camp militaire et une usine de l’entreprise minière française Areva, faisant au total une trentaine de morts, dans ce qui a été présenté comme les premiers attentats suicides de l’histoire du pays. La psychose s’est encore accrue chez les Nigériens lorsqu’ils ont appris que ces agressions étaient l’œuvre du redoutable terroriste algérien Mokhtar Belmokhtar, impliqué dans la prise d’otages sanglante d’In Amenas en Algérie, et donné pour mort par les troupes tchadiennes présentes dans le Nord malien. Elles avaient affirmé l’avoir tué lors des combats dans l’Adrar des Ifhogas.
Ces attaques ont d’autant plus surpris que le Niger se présentait jusque-là, contrairement au Mali, comme le pays de la région ayant su se préserver au mieux des risques de déstabilisation touarègue ou salafiste. Les analystes louaient sans retenue le pouvoir central, qui aurait su prendre en compte, en partie, les aspirations de ses minorités arabe et touarègue. Il aurait eu la sagesse de désarmer les Touaregs nigériens revenus de la guerre de Libye, là où le désinvolte Amadou Toumani Touré du Mali avait laissé ses Touaregs avec leurs arsenaux de guerre. Le président nigérien, Mahamadou Issoufou, était également apprécié pour avoir pris le contre-pied de son prédécesseur Mamadou Tandja, un partisan de la manière forte face aux revendications des minorités du Nord, en usant davantage de diplomatie et d’habileté. Il a ainsi nommé un premier ministre touareg, et nombreux sont les hommes bleus exerçant des responsabilités de premier plan, tel le numéro deux de l’armée.
Cette méthode de realpolitik a sans doute préservé le Niger de l’irrédentisme touareg qui a resurgi de façon violente au Mali en janvier 2012 et a été à la base de l’instabilité que connaît ce voisin. Elle n’est cependant pas à même de prémunir le pays des attaques de groupes djihadistes ayant d’autres motivations et, surtout, recrutant au-delà des cercles ethniques. Commentant les attentats de mai, le président Issoufou a pointé, directement, la Libye voisine, dont le Sud serait devenu le nouveau point de repli des djihadistes chassés du Nord malien par l’armée française et les forces africaines, dont celles du Niger qui y a déployé plus de 600 soldats.
Le Niger est, en fait, victime de sa situation géographique autant que de ses choix au Mali. La plupart des États voisins font face, pour la plupart, au péril islamiste, ce qui ne pouvait aller sans conséquence. Il y a, d’un côté, le Nigeria où sévit la secte terroriste Boko Haram. Ses combattants auraient prêté main-forte aux terroristes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) au Nord malien, dans une convergence occasionnelle d’intérêts. Le sud du Niger servirait aussi de base de repli aux islamistes de Boko Haram traqués par la police nigériane. De l’autre côté, il y a le Mali, pas encore totalement débarrassé de la gangrène islamiste. Plus au nord, on trouve la Libye méridionale où se sont repliés les djihadistes chassés du Mali. « Je le réaffirme, l’attaque vient du Sud libyen qui constitue une principale menace pour la sécurité dans la bande sahélo-saharienne », redisait le dirigeant nigérien, au cours d’une cérémonie d’hommage à Agadez, en mémoire des trente-quatre victimes du double attentat de mai.
Avec la pomme de discorde que constitue l’asile octroyé par Niamey à l’un des fils Kadhafi, que réclame en vain Tripoli, le Niger n’est certainement pas au bout de ses peines. Le Niger redoute de nouvelles attaques terroristes en provenance du Sud libyen abandonné aux milices tribales libyennes et aux djihadistes de tous horizons en quête d’armes et de camps d’entraînement.
Les autorités nigériennes ne se laisseront pas faire. Elles ont stoppé à la mi-juin une tentative d’attaque d’une garnison militaire, et Niamey, la capitale, et ses alentours sont sous haute surveillance depuis les événements de mai. Les militaires sont sur le qui-vive, et des check points ont été dressés partout pour filtrer les entrées et les sorties. Le Niger craint un déplacement du conflit malien vers son propre territoire, déjà familier de prises d’otages.
Le régime Issoufou ne s’embarrasse plus de précautions pour solliciter l’aide de la France et des États-Unis, déjà présents dans le pays à travers diverses opérations secrètes. L’armée française y a établi une base pour ses drones de reconnaissance. Le Niger a confirmé la présence de drones américains sur son sol, en invoquant la nécessité de « sécuriser les frontières » contre des infiltrations de groupes djihadistes venant de son voisin malien. « Nous ne sommes pas loin du théâtre des opérations du Mali. Sans ces drones et sans la présence de ces avions de reconnaissance, avouons-le, nous sommes aveugles », a ainsi déclaré le ministre de la Justice et porte-parole du gouvernement nigérien, Morou Amadou, sur les antennes de la télévision nationale.