La capitale économique est une ville sous haute surveillance depuis fin mai dernier, quand le ministère français des Affaires étrangères a publié, sur son site internet, un message recommandant une vigilance accrue à ses ressortissants résidant ou de passage en Côte d’Ivoire. Le pays d’Alassane Ouattara venait ainsi de faire, officiellement, son apparition officielle sur la liste des États cibles de groupes terroristes opérant dans la bande sahélienne, déterminés à se venger des forces françaises et de leurs alliés africains à l’origine de leur nouvelle errance à travers le désert.
Les informations qui circulaient depuis décembre sous le boisseau, faisant état de la présence, en Côte d’Ivoire, de djihadistes postés en éclaireurs, venaient ainsi d’être confirmées. La réaction des autorités ivoiriennes a été, dans un premier temps, un black out total sur ce danger potentiel. Selon des sources proches du ministère de l’Intérieur, en charge de la sécurité, il s’agissait surtout de ne pas apeurer la population, que les attaques successives d’individus jamais clairement identifiés ont plongée dans le doute. Les menaces proférées à l’encontre de la France et des pays ayant fourni des troupes pour libérer le nord du Mali, par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), un groupe islamiste auteur du double attentat meurtrier à Arlit et Agadez, au Niger, ont encore rapproché le danger terroriste d’Abidjan.
Les djihadistes qui opéraient au Mali en veulent particulièrement à Alassane Ouattara. En tant que président de la Cedeao, l’organisation sous-régionale, il a pesé de tout son poids pour que la communauté africaine et internationale se mobilise rapidement en faveur de la libération du septentrion malien. Sous sa houlette, la Côte d’Ivoire s’est engagée dans la Mission militaire de soutien au Mali (Misma) à travers un bataillon logistique de plus de 200 soldats.
Pays frontalier du Mali, la Côte d’Ivoire n’est pas traditionnellement un foyer djihadiste. Mais le développement récent d’un islam radical, porté par des prédicateurs souvent venus d’ailleurs et inspirés de dogmes wahhabites, et la fragilité institutionnelle du pays, qui peine à sortir des traumatismes des deux dernières décennies et de la grave crise postélectorale d’il y a deux ans, font progressivement le lit de l’extrémisme salafiste. Les autorités, qui ont longtemps négligé la question de la propagation à ciel ouvert de théories fondamentalistes, n’hésitent plus à interpeller des prédicateurs barbus. Leurs prêches enflammés surfent sur les difficultés économiques et sociales actuelles, afin de tenter de rallier le plus grand nombre à la nécessité du djihad et d’instaurer, en Côte d’Ivoire, un régime islamique gouvernant par la charia.
Les sources policières font état de l’arrestation, en mars dernier à Abidjan, d’individus présumés djihadistes. Un petit groupe de moins de dix hommes, de nationalité égyptienne selon certaines indiscrétions, aurait ainsi été démantelé dans une opération menée conjointement par les forces de sécurité françaises et ivoiriennes. Ces djihadistes s’apprêtaient, à en croire la police, à attenter à des cibles françaises en Côte d’Ivoire. « Plusieurs individus interpellés à Abidjan par la Force de recherche d’action de la police [Frap] ont avoué que leur objectif est de s’attaquer aux intérêts des Occidentaux en Afrique », avait ainsi révélé le ministre d’État en charge de l’Intérieur, Hamed Bakayoko.
La grande hantise des services de sécurité du pays est liée aux informations faisant état d’infiltrations, dans Abidjan et de ses environs immédiats, de djihadistes prêts à frapper. Si tel était le cas, les contrer à temps ne sera guère une partie de plaisir, vu la faiblesse légendaire des organes de renseignement ivoiriens, l’insuffisance de moyens logistiques et techniques appropriés, ainsi que la confusion qui continue de régner dans la chaîne de commandement militaire, dont la restructuration n’est toujours pas achevée.
Malgré ces faiblesses, Hamed Bakayoko se veut rassurant. Lors du Salon international de la défense et de la sécurité qui s’est tenu fin mai à Abidjan, il a appelé à la vigilance et à la solidarité des différentes forces de sécurité de ses voisins. « Aucun pays de la sous-région n’est à l’abri des violences terroristes […]. Nous n’avons plus le temps de tergiverser. Nous sommes obligés, en tant qu’États, de nous intégrer dans une coopération dynamique pour faire face à la menace. Car ce qui se passe chez les voisins est forcément chez nous, ou se passera chez nous. »
La présence de plus de 10 000 Français en Côte d’Ivoire, mais aussi la porosité des frontières rendent la Côte d’Ivoire particulièrement vulnérable aux infiltrations terroristes que redoutent les autorités sécuritaires. Celles-ci tentent d’anticiper en multipliant les points de contrôle aux frontières et les opérations de surveillance des sites stratégiques. Des unités spéciales de police, comme la Frap ou le Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO), créées à l’origine pour combattre la grande criminalité et les exactions d’anciens rebelles et miliciens démobilisés, sont mises à contribution. Pour Bakayoko, le lien étant établi entre les trafics prohibés et les djihadistes, cette réaffectation des forces de sécurité tombe à pic : « On a constaté que les trafiquants d’armes se sont intégrés aux trafiquants de drogues, et ensemble, ces narcotrafiquants se sont eux-mêmes intégrés à tous ces mouvements djihadistes, malgré leurs nuances », précisait le ministre de l’Intérieur.