Depuis le début de la guerre du Mali, l’Algérie est sous le feu de critiques récurrentes dans les médias français en particulier. En conclusion de scénarios compliqués, souvent incohérents et fantaisistes, ces critiques relèvent plus des théories conspirationnistes que de l’examen concret des faits. Leurs auteurs voient « la main d’Alger » partout. Au mieux en négligeant, fort légèrement, que l’Algérie fut sur sa principale base gazière d’In Amenas la première victime des dommages collatéraux de l’intervention militaire française. Au pire, en suggérant, comme le fait François Gèze, avec un brin de cynisme, que cette attaque, conduite par le terro-narco-trafiquant Mokhtar Belmokhtar, fut elle-même une « manipulation algérienne ». Les autorités algériennes auraient ainsi pris le risque démesuré de faire sauter un site gazier de première importance sur leur territoire pour seulement complaire à l’Occident et s’imposer à ses yeux comme un pivot de la lutte antiterroriste au Sahel.
Le raisonnement est singulièrement court. Car le rôle de l’Algérie dans la lutte antiterroriste, non seulement au Sahel, mais aussi à travers le monde, par l’échange de renseignements avec les services diversement engagés contre ce fléau international, est reconnu depuis longtemps. Alger, qui, rappelons-le, avait été tragiquement seule dans les années 1990 à relever le défi terroriste sur son propre territoire, n’a de toute évidence rien à prouver dans ce domaine. Elle s’était par ailleurs opposée en son temps à la fumeuse théorie du « Grand Sahel » de Mouammar Kadhafi et avait déployé des efforts considérables pour associer tous les « pays du champ » à une structure commune de défense de la sécurité et de la stabilité de la région. L’histoire dira peut-être que ce sont les réticences intéressées de ses voisins qui ont mis l’ensemble de la zone sous tutelle militaire étrangère.
Plus simplement, en s’en tenant aux faits, trois mots résument la politique algérienne dans un conflit plus complexe qu’il n’y paraît, et dont la lecture est loin d’être simple, comme le rappellent fort opportunément les auteurs du livre. Ces trois mots sont : non-ingérence, prudence, pragmatisme. Les conflits politiques, interethniques et tribaux au Mali, aux frontières artificielles issues du partage colonial, comme la plupart des pays du continent, perdurent depuis des décennies. L’Algérie, qui a une longue frontière avec ce pays, y a toujours été attentive. Elle a joué de sa médiation à plusieurs reprises depuis plus de quarante ans pour amener les protagonistes autour d’une table de négociations. Mais les succès qu’elle a remportés se sont heurtés aux lenteurs des titulaires successifs du pouvoir central de Bamako dans la mise en œuvre de l’intégration des Touaregs dans le jeu politique national, et surtout de financement de programmes de développement convenus pour les régions du Nord.
Le climat de tension qui en découle, souvent entretenu par les acteurs politiques maliens, a été une aubaine pour les islamistes, défaits en Algérie, qui y ont trouvé l’occasion d’installer un « sanctuaire » multi-trafics au nord du Mali, hors de portée d’une armée malienne sous-équipée et peu opérationnelle. L’un des premiers soucis d’Alger a toujours été de prévenir l’exportation de cette « guerre nomade » sur son territoire, où vit une communauté touarègue, sans doute mieux intégrée qu’ailleurs, mais qui reste néanmoins attentive au sort des siens au Mali aussi bien qu’au Niger.
Les Algériens ont été d’autant moins pris de court par l’intervention militaire française au Mali que, quelques semaines plus tôt, ils avaient reçu tour à tour le chef du Quai d’Orsay, Laurent Fabius, puis le président François Hollande. De diverses sources, on sait que ce dernier les a tenus informés de la décision française d’intervenir militairement et qu’ils lui ont consenti un soutien technique : le survol, strictement encadré, de leur territoire par des avions français en mission.
Deux raisons expliquent qu’Alger, qui n’a cessé de plaider pour une solution politique, a finalement laissé faire. La première est que sa médiation de la dernière chance entre Bamako et Ansar Eddine a été sabordée par le brusque ralliement de ce groupe islamiste aux partisans d’un assaut terroriste contre la capitale malienne. Personne plus que les Algériens ne connaît mieux la versatilité des groupes dissidents maliens et la fragilité des alliances de circonstance qu’ils nouent et dénouent entre eux. Seconde raison : Alger a, selon toute vraisemblance, obtenu au préalable de Paris la double garantie de l’intangibilité des frontières des pays de la région et de la préservation de l’intégrité territoriale du Mali. Deux principes non négociables à ses yeux. Elle a fait par ailleurs prévaloir un autre principe cardinal de sa diplomatie : la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays voisins. Dans le cas malien, il apparaissait aux experts de l’antiterrorisme qu’il était impossible de « traiter » les groupes armés disséminés dans une région de 250 000 km2, d’un relief tourmenté, sans engager un corps expéditionnaire qui risquait de s’enliser. Une telle perspective était impensable pour l’armée algérienne, dont les missions excluent toute projection à l’extérieur.