Laurent Gbagbo à peine arrêté, la réconciliation nationale a commencé. Elle génère parfois un peu d’incompréhension parmi ceux qui ont risqué leur vie dans les rues d’Abidjan.
On prend les mêmes et on recommence… Après la capture, il y a 12 jours, d’un Laurent Gbagbo qui a voulu conserver par les armes un pouvoir qu’il avait perdu dans les urnes, on croyait qu’Abidjan ferait peau neuve sur tous les plans. Que non. Gbagbo placé en résidence surveillée, ses fidèles lieutenants reprennent du service les uns après les autres. Ainsi, des chefs militaires qui ont soutenu le « woody » (le combattant Gbagbo) jusqu’à son arrestation le 11 avril ont retrouvé leur bâton de commandement. En échange, ils ont dû faire allégeance au nouvel homme fort, Alassane Ouattara.
Parmi eux, les généraux Philipe Mangou des Forces Armées Nationales de Côte d’Ivoire (FANCI), Touvoly Bi Zogbo, du cabinet militaire du palais présidentiel, Edouard Kassaraté de la gendarmerie, Mbia Brédou de la police, Firmin Déto Léto des forces terrestres et Guai Bi Poin de l’unité d’élite CeCOS. Le CeCOS était, depuis 2005, la ceinture de sécurité à Abidjan du pouvoir déchu. Pareillement, les patrons d’institutions issus du Front Pulpaire Ivoirien (FPI), le parti de Gbagbo, ont intégré la « république du golf ». « L’anti-Alassaniste » Tia Koné de la Cour suprême, qui déclara Alassane Ouattara et l’ex président Konan Bédié inéligibles à la présidentielle de 2000, « le très patriote » Mamadou Koulibaly de l’assemblée nationale et « l’ami de Gbagbo » Yao Paul Ndré du Conseil constitutionnel, ont eu droit, tour à tour, à des audiences présidentielles. Ont également fait un retour en grâce, le patron du Conseil économique et social, « le père du sursaut national » et la grande chancellerie.
Pourquoi un retour aussi tranquille de ces pontes de La Majorité Présidentielle (LMP) ? « La réconciliation a un prix », répond-on dans l’entourage de M. Ouattara. Et il ne faut pas utiliser les mêmes armes que l’adversaire, il faut tourner la page. Le pardon doit-il éclipser la faute ? Réponse invariable : « pas de chasse aux sorcières ». Les journalistes de la Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI) qui incendiaient les opposants à l’antenne ont regagné la « maison bleue ». Ils n’ont pas eu besoin de se justifier ou d’accuser qui que ce soit. Un simple regret de ce qui s’est passé a suffit. Seul le directeur de la RTI, Brou Amessan Israël a payé de son poste la chute du régime. Yao Paul Ndré, l’arbitre par qui la crise est arrivée, s’est même permis un réquisitoire surprenant. Pour lui, dans cette crise post-électorale qui a fait un millier de morts, « tout le monde est coupable, le président déchu, l’actuel président, les journalistes et les citoyens ». Dans la tête de celui qu’on nomme « Pablo » à Abidjan, dont la juridiction a donné vainqueur Gbagbo contre l’avis de la commission électorale le 4 décembre 2010, les militants de l’opposition tués par les obus des soldats pro-Gbagbo sont aussi coupables que leurs bourreaux. Ils auraient eu tort d’être « allés trop loin » en réclamant le verdict des urnes.
Un leader de jeunes proche de l’hôtel du golf, où est encore retranché une partie du camp Ouattara, se dit « frappé » par cette absence de mea culpa de la part des piliers de l’ancien régime. Et il redoute que leur retour en force sur la scène ne cache un mauvais coup. Un journal proche du président ivoirien a tiré la sonnette d’alarme en fin de semaine : «LMP prépare un coup d’Etat !» Pour Ouattara, tout est pourtant clair. « La guerre est finie, ». Il l’a martelé vendredi 22 avril et ordonné le retour dans leurs casernes des quelques milliers de soldats venus hier du nord pour combattre pour lui à Abidjan. Ironie du sort, ce sont aux généraux de l’ancien pouvoir, dont le génaral Mangou, qu’il revient aujourd’hui de désarmer les milices pro-Gbagbo à Abidjan. Ils devront surtout « désarmer par la force » au besoin, « le commando invisible » qui, pendant deux mois, a bravé les chars à Abidjan et sapé le moral des troupes de Mangou. Les ex-rebelles dont les célèbres « commandants de zones », à qui Ouattara doit son succès militaire, après sa victoire électorale, se laisseront-ils renvoyer comme des écoliers dans leurs classes après la fin de la récréation ? Une fois désamorcée, la bombe du chaos mis en place par son prédécesseur, le nouvel homme fort d’Abidjan doit maintenant éviter le risque d’une implosion dans son propre camp. Homme des situations difficiles, il a déjà sa potion. Ce sera le bâton et la carotte.