En juillet prochain, si le scrutin a bien lieu, il sera candidat à la présidentielle pour la troisième fois. Ibrahim Boubakar Keita, dit IBK, réussira-t-il à s’asseoir, cette fois-ci, dans le fauteuil présidentiel, lui qui était arrivé en troisième et deuxième position en 2002 et 2007 ? Cet homme politique d’expérience, qui a été premier ministre sous Alpha Oumar Konaré puis président de l’Assemblée nationale, est aujourd’hui sollicité de toutes parts en vue du scrutin.
Le Mali connaît l’instabilité depuis un an et demi, la guerre depuis quatre mois. On a peu entendu d’hommes politiques maliens s’exprimer à Paris sur ce sujet. Quelle est votre analyse de la situation militaire ?
C’est un truisme, mais il n’y a pas de comparaison avec la situation de l’an dernier. Tout le monde a salué la promptitude et l’appui massif français qui ont stoppé les colonnes djihadistes descendant vers le sud et la capitale.
Malheureusement, il faut bien reconnaître que l’armée malienne était en complète déliquescence, non formée ni équipée en face d’un adversaire déterminé et fortement armé. Que dire d’une armée et d’un commandement plus soucieux d’amasser de l’argent, qui se soucient de faire des « affaires », jusqu’à entretenir des liaisons scandaleuses avec les narcotrafiquants ?
Nous avons aujourd’hui bien plus de visibilité : l’armée française et les contingents africains, notamment tchadiens, ont considérablement réduit la menace djihadiste, même si ces derniers ont une activité résiduelle à partir des pays limitrophes – comme le Sud libyen – ou que, à l’inverse, le conflit s’y étende, comme l’a montré l’attaque d’In Amenas en Algérie. Nous savons le coût humain de cette intervention, notamment la disparition de six soldats français, dont nous saluons la mémoire.
Le Mali court-il le risque, avec l’intervention internationale en cours, d’une mise sous tutelle ?
L’organisation djihadiste éliminée, il reste, il est vrai, la question de Kidal. C’est une question d’une grande importance, symbolique, au Mali : on ne pourrait pas comprendre d’organiser une élection présidentielle sans Kidal. Cette sorte de sanctuaire de facto du MNLA, aucun Malien ne peut l’accepter !
Tout en reconnaissant l’indispensable intervention de la Misma(1) ou de la Minusma(2), le Mali a toujours valorisé sa dignité et son honneur : il ne sera jamais sous tutelle. Dès qu’il y aura un gouvernement légitime, l’armée nationale pourra exercer une autorité nécessaire, une défense intransigeante de l’intégrité du Mali. Actuellement, quel qu’en soit le coût, nous n’avons pas le choix : l’appui international onusien est indispensable. Et l’engagement français demeure indispensable pour la poursuite de la sécurisation du pays – qui n’est malheureusement pas la mission de la Minusma.
En relations internationales, quelles alliances possibles pour le Mali ?
La crise malienne a permis de mesurer la solidarité des pays de la sous-région, via la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). C’est un bon signe pour les relations à venir avec les pays voisins. Leur solidarité non seulement verbale, mais bientôt concrète, et même militaire, est une excellente chose. Chacun a apporté ce qu’il pouvait. C’est une question de moyens, car tous les États réunis n’ont pas une armée aussi puissante que celle de la France. À propos de ce pays, nous avons été très sensibles à l’unanimité de la classe politique dans son appui au Mali, lors du récent débat à l’Assemblée nationale.
En tant que candidat à la présidence du Mali, l’Internationale socialiste à Niamey m’a récemment et clairement apporté son soutien, en particulier lors du discours d’Harlem Désir [premier secrétaire du Parti socialiste français, ndlr]. J’ai aussi reçu l’appui de la part de partis socialistes plus lointains, comme ceux de Grèce (Pasok) ou de Norvège.
On reproche souvent aux hommes politiques africains de faire l’élection sur leur personne et de ne pas avoir de programme. Est-ce votre cas ?
Recadrons le débat : l’élection présidentielle est particulière, c’est la rencontre d’un homme et de son peuple, selon la formule gaullienne. Quant au programme, peut-on aller à une telle élection sans savoir quoi faire durant son mandat ?
Tenons compte d’abord de la situation du pays, que j’ai activement sillonné : la mal-gouvernance est partout, le déficit démocratique patent.
La « démocratie en uniforme » est un non-sens ; pour adapter une célèbre formule, on peut tromper une partie du peuple pour un temps, pas l’ensemble d’un peuple en tout temps ! Si on reparle des élections précédentes, tous les observateurs honnêtes en connaissent les travers. Ainsi, en 2002, ma candidature l’a emporté, mais le pouvoir est passé en force. Voilà ce qu’il ne faut pas reproduire aux prochaines élections ! Au contraire, il faut retrouver les fondamentaux d’une démocratie réellement représentative. Et ce sont aussi des candidats dont je parle : il faut cette fois-ci des hommes d’une grande probité.
Il est hors de question que nous acceptions la reproduction d’élections contestables. Et dans l’exercice du pouvoir, il faut bien évidemment retrouver le sens de l’intérêt public contre le patrimonialisme et la corruption. C’est cela, au fond, l’essentiel de notre programme : la réhabilitation de l’État de droit. Et c’est une immense tâche ! Elle se décline jusque dans le quotidien du pouvoir, jusque dans des lois et leur application pratique. Je pense notamment à des marchés publics rigoureux, à la fin des narcotrafics.
Oui, il faut une refondation de l’État malien. Au-delà des dirigeants, cela nécessite un peuple discipliné, lui aussi rigoureux et intègre, refusant les trafics et les passe-droits. Refonder l’État, c’est aussi investir sur les fondamentaux, comme l’école et l’université, que nous devons réhabiliter en moyens et en ressources humaines. Il doit en sortir des hommes et femmes non seulement instruits, mais capables au plus haut niveau de tenir des discours cohérents et d’agir au mieux pour leur pays.
Nous ne pouvons remplir ce programme seuls. À cause de ses connotations, il vaut mieux éviter le terme de « plan Marshall » pour le Mali, mais il s’agit bien de parler d’une aide massive à la reconstruction et au développement du pays, que seuls les États occidentaux et les institutions internationales peuvent mettre en place, quel que soit son nom. Cet appui international conséquent est aussi un devoir dans l’intérêt de tous pour stabiliser à long terme le pays et se substituer à l’action militaire. Sans cela, toutes les actions pour nous aider n’auraient servi à rien : il ne nous suffit pas d’avoir été sortis de l’eau, il nous faut aussi revenir à la vie !
(1) Mission internationale de soutien au Mali, sous conduite africaine.
(2) Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, la force onusienne de maintien de la paix au nord du Mali, forte de 12 600 Casques bleus, qui se déploiera à partir du 1er juillet.