Plus de trente ans que la guerre indépendantiste dure en Casamance. Et peut-être, enfin, un troisième cessez-le-feu en vue depuis le début du conflit, en décembre 1982, à la suite d’une manifestation à Zinguichor, la capitale régionale, durement réprimée par les forces de l’ordre. Les Casamançais y dénonçaient le « mépris culturel » et la « confiscation » de leurs terres par les « nordistes ». Un premier cessez-le-feu avait été signé en 1991 avec le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), puis un second en 2004, sans effet durable. Rien depuis. Sinon l’explosion du MFDC en de multiples factions militaires et politiques à la mort de son leader historique, l’abbé Diamacoune Senghor, en 2007, l’alternance de périodes d’accalmie et d’embuscades meurtrières, l’exaspération et la lassitude de la population, première victime d’un conflit qui a fait des milliers de morts et des dizaines de milliers de déplacés. Jusqu’à ce que celui qui avait promis de régler le conflit « en cent jours » à son accession au pouvoir en 2000, Abdoulaye Wade, passe le témoin présidentiel et le bébé casamançais à Macky Sall, en mars 2012.
L’ancien président avait, certes, réitéré les appels au dialogue avec la rébellion jusqu’à la veille de son départ, tout en jouant la carte du pourrissement. L’arrivée de Sall, qui a d’emblée tendu la main aux trois principaux chefs militaires rebelles, Salif Sadio, César Atoute Badiatte et Ousmane Niantang Diatta – mais sans rien promettre –, a en revanche suscité un appel d’air. Salif Sadio, chef du front Nord, présenté comme le plus ultra et le plus incontrôlable des indépendantistes, avait déjà fait savoir au régime précédent qu’il était prêt à négocier si c’était hors du pays, et sous l’égide de la communauté catholique italienne Sant’Egidio, bien connue pour ses médiations dans nombre de conflits (Mozambique, Algérie, Burundi…).
En août 2012, Ousmane Niantang Diatta faisait de même. Tout en mettant comme condition aux pourparlers la levée du mandat d’arrêt international contre Mamadou Nkrumah Sané, exilé à Paris depuis 1993 et « secrétaire général » du MFDC pour la plupart des rebelles – mais pas pour tous. En particulier César Atoute Badiatte qui, depuis sa destitution par Diatta en 2010, semble en perte de vitesse au sein du MFDC.
En octobre, Sant’Egidio entrait officiellement dans la danse pour faciliter les relations entre le gouvernement et les rebelles. Salif Sadio réitérait son désir de négocier sur les bases énoncées neuf mois plus tôt, en y ajoutant la levée du mandat d’arrêt international à son encontre émis par le gouvernement Wade. Pour établir un « climat favorable » aux discussions, Sant’ Egidio lui a demandé de faire un geste « humanitaire » : libérer huit prisonniers de guerre. Ce qui fut fait très protocolairement le 9 décembre 2012 en territoire casamançais.
Le 12 avril dernier, les choses se sont accélérées : malgré des attaques meurtrières en février – non revendiquées –, Sant’Egidio, « informée par la présidence de la République du Sénégal », a annoncé : « Il n’existe aucun mandat d’arrêt envers Salif Sadio. » Cinq jours plus tard, en exclusivité sur la chaîne télévisée nationale, la RTS, Ousmane Niantang Diatta s’est publiquement engagé en faveur des pourparlers : « Trop de sang a coulé en Casamance. La peur a été installée partout, à cause de la guerre. […] Je demande à tous les combattants, de l’est à l’ouest, de déposer les armes, pour un troisième cessez-le-feu, pour aboutir à la paix avec des négociations justes et sincères. »
La fin d’un long cauchemar pour les Casamançais, dont les jeunes n’ont connu que la guerre ? Même si les héros sont manifestement fatigués et que Sadio semble s’être affranchi de son tuteur, le Gambien Yayah Jammeh, régulièrement accusé par Dakar de vouloir entretenir l’instabilité au Sénégal, rien n’est moins sûr. Car il faudra démanteler toute l’économie de guerre qui gangrène la Casamance depuis trois décennies : pillages, razzias, trafics de bois, de drogue, de primes aux fausses intermédiations… La guerre du développement sera autrement plus difficile.