Nombre d’ONG de défense des droits de l’homme ont salué le transfert à La Haye, le 22 mars, de Bosco Ntaganda, épilogue d’une longue saga. Ce militaire tutsi congolais était en effet poursuivi depuis 2005 par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes contre l’humanité commis en temps que chef de la milice de l’Union des patriotes congolais (UPC) dans le district en Province-Orientale. Mais pendant sept ans, il a côtoyé les Casques bleus sans avoir fait l’objet de la moindre tentative d’arrestation. Promu général en 2006, il avait rejoint la rébellion de Laurent Nkunda, qu’il a renversé trois ans plus tard avec le soutien de Kigali et de Kinshasa, pour devenir commandant en second de l’armée congolaise au Kivu. Et pendant trois ans, au nom de la stabilité, Kinshasa a refusé de le livrer à la CPI.
En fait, c’est la condamnation de son compère Thomas Lubanga en mars 2012 qui a constitué un tournant. Les pressions internationales se sont accentuées sur Kinshasa. Bosco, craignant d’être livré à son tour, s’est mutiné il y a un an, tandis que le colonel Sultani Makenga, commandant en second de l’armée congolaise au Sud-Kivu, lui aussi tutsi, mais partisan de Nkunda, a empêché ses hommes de rejoindre Bosco qu’il considère comme un traître.
Lorsque Kabila, pour punir Bosco qui avait jusqu’alors le soutien de Kigali, met fin à l’opération Amani Leo, traque contre les rebelles hutus des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), il suscite la mauvaise humeur de Kigali. C’est dans ces circonstances que naît le mouvement rebelle du M23 le 6 mai 2012, créé par Makenga. L’éclatement du M23 en février 2013 et la défaite de ses partisans en mars incite Bosco à fuir la République démocratique du Congo (RDC) puis à se livrer à l’ambassade des États-Unis à Kigali. Mais sa reddition suscite beaucoup de spéculations quant à sa motivation. A-t-il préféré l’abri d’une prison à la vindicte de Kigali ou de Kinshasa, qui peuvent estimer que cet exécutant des basses œuvres peut dénoncer ses maîtres d’antan ? Une chose est sûre : officiellement, il n’est poursuivi que pour les crimes commis en Ituri par l’UPC, ce qui en principe dédouane les deux capitales. Mais le dossier peut s’étoffer. Sous la pression des organisations des droits de l’homme, le général Ntaganda pourrait être également poursuivi pour les crimes commis au Kivu, alors qu’il servait l’armée congolaise. Cela serait embarrassant pour le président Joseph Kabila, qui pourrait se voir reprocher d’avoir laissé faire.
Dans ce contexte, survient un autre événement important : le vote, le 28 mars, de la résolution 2098 du Conseil de sécurité de l’Onu, instaurant la mise en place d’une brigade africaine d’intervention contre les groupes armés au Kivu. Celle-ci doit être intégrée au sein de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco) et composée de 3 069 éléments provenant de Tanzanie, d’Afrique du Sud et du Malawi. Ces troupes comprendront trois bataillons d’infanterie, une compagnie d’artillerie, une autre de reconnaissance et des forces spéciales pour neutraliser et désarmer les groupes armés.
Pour l’ambassadeur congolais à Bruxelles, Henri Mova Sakanyi, cette résolution portée par la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et cautionnée par la région des Grands Lacs, via la Conférence internationale des pays de la région des Grands Lacs (CIRGL), constitue « un succès diplomatique majeur pour la RDC ». Elle exprime « un devoir de solidarité » de la Communauté internationale envers un État membre en proie à des agressions à répétition de ses voisins. Pour le diplomate congolais, la résolution 2098 est une « révolution » dans l’histoire des relations internationales : c’est la première fois que les Casques bleus pourront, selon le chapitre VII de la charte onusienne, engager « expressis verbis » une action offensive contre des forces négatives partout où la paix est menacée en RDC, et ne plus se borner à un rôle d’observation des hostilités.
Mais le vote de la résolution de l’Onu inquiète un certain nombre d’ONG. Elles redoutent que le déploiement de la brigade corresponde au choix d’une solution exclusivement militaire. Or, l’instabilité a aussi des causes sociales et politiques, dit-on dans le monde associatif. Et paradoxalement, il n’est pas sûr que la perspective du déploiement de cette brigade contribue à calmer les esprits. Alors que la faction du M23 de Sultani Makenga semblait prête à signer un accord de paix avec Kinshasa, prévoyant l’intégration de ses troupes dans les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), la création de la brigade d’intervention vient de raidir la position des rebelles du M23 engagés depuis décembre dans de laborieux pourparlers de paix à Kampala.
Dans un communiqué daté du 1er avril, le M23 a dénoncé la décision du Conseil de sécurité de créer une telle brigade. Au lieu d’« encourager une solution politique, en apportant un appui substantiel aux négociations politiques de Kampala » entre le M23 et Kinshasa, l’Onu choisit de « faire la guerre contre l’un des partenaires pour la paix », a dénoncé le président politique du M23, Bertrand Bisimwa.
En outre, la mise en place de cette force n’ira pas sans problèmes. Il est question qu’elle soit placée sous le contrôle d’un officier indien. Or, l’Inde ne participe à la Monusco qu’à des conditions particulières et restrictives en ce qui concerne l’engagement de ses troupes. Les responsables des unités africaines pourraient donc avoir quelques difficultés à être commandés par un général appartenant à une nation qui expose moins ses propres compatriotes au feu de l’ennemi.
Pendant ce temps, la situation demeure fragile au Katanga où l’on a enregistré le 23 mars un nouvel épisode tragique avec la mort de trente-cinq personnes, lors d’affrontements entre un groupe de rebelles maï-maï et l’armée congolaise, dans la capitale provinciale Lubumbashi. Au nombre de 250 personnes environ, les rebelles, armés sommairement de fusils de chasse, de machettes, d’arcs et de flèches, se sont finalement rendus à la Monusco après avoir traversé la ville de Lubumbashi et plusieurs quartiers environnants, au terme d’un combat sanglant avec la Garde républicaine de Joseph Kabila.
Selon les témoins, ces Maï-Maï, qui appartiennent au groupe Bakata Katanga de Ferdinand Kazadi Ntanda Imena Mutombo, ont reçu un accueil plutôt favorable d’une partie de la population. Des femmes ont jeté leurs pagnes sous leurs pas en signe de bienvenue, tandis que les passants ont applaudi le cortège. Les revendications des rebelles semblaient avoir un caractère politique et social. « Nous sommes fatigués d’être des esclaves ! Nous ne voulons plus de cette souffrance ! », ont-ils déclaré aux agents de la Monusco. Certains arboraient même autour de la tête un bandeau aux couleurs de l’ancien drapeau du Katanga. Le groupe comprenait des hommes, mais aussi des femmes et des enfants. Ce n’est qu’au centre ville, place de la Poste que les choses ont commencé à dégénérer : des manifestants ont déchiré le drapeau congolais et hissé celui du Katanga sécessionniste. Et la Garde républicaine a ouvert le feu.
Une fois encore, ce genre d’incidents témoigne à la fois d’une inquiétante défaillance des services de renseignement et de l’ignorance pathétique du pouvoir, ou de son indifférence face à la situation d’abandon des populations des zones les plus reculées des provinces. À l’instar des Enyele de l’Équateur ou des partisans de la secte politico-religieuse du Bundu dia Kongo », au Bas-Congo. Il faudra plus que la comparution en justice de Bosco Ntaganda, alias « le Terminator », pour asseoir la stabilité en RDC.