En République démocratique du Congo (RDC) voisine, la conséquence immédiate de la chute de Bozizé a été l’afflux de 35 000 nouveaux réfugiés, venus s’ajouter aux quelque 13 000 recensés à la fin 2012, selon le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). Cet exode vers les deux provinces de l’Équateur et de la Province-Orientale préoccupe les humanitaires, qui craignent de voir s’aggraver la précarité de la population locale, notamment avec une crise alimentaire. Mais l’équation comporte aussi un élément politique : car, parmi ces réfugiés, figurent plusieurs membres de la famille de François Bozizé, dont l’épouse du président déchu Monique, et cinq enfants, selon le porte-parole militaire de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco), le lieutenant-colonel Félix Prosper Basse. Y compris l’ex-ministre de la Défense, Jean-Francis. De quoi exacerber la mauvaise humeur de la population locale qui a lancé contre eux des cailloux. Elle ne pardonne pas à Bozizé d’avoir facilité la comparution du leader régional, l’ancien vice-président congolais et chef du Mouvement de libération du Congo (MLC), Jean-Pierre Bemba, devant la Cour pénale internationale de La Haye en raison des crimes commis par ses troupes en Centrafrique en 2003. Un problème de plus à gérer pour Kabila.
Kinshasa a dû aussi s’occuper des conséquences de l’arrivée du contingent sud-africain qui protégeait le président Bozizé, contraint de franchir le fleuve après avoir été défait le 25 mars.
Entre cette date et début avril, la ville et l’aéroport de Gemena, dans la province de l’Équateur, sont devenus la plaque tournante de l’évacuation des soldats sud-africains vers l’Ouganda, avec un trafic intense d’avions et d’hélicoptères, rapportent des témoins visuels. La situation a conduit le 1er avril le député du MLC (opposition) pour la circonscription de Gemena, Richard Lenga, à interpeller le ministre de l’Intérieur Richard Muyej Mangez sur les risques d’insécurité que cette présence militaire étrangère et l’arrivée massive que les réfugiés de Centrafrique peuvent engendrer. Ni l’une ni l’autre n’ont été annoncées à la population par les autorités congolaises, manifestement débordées. Mais c’est surtout l’arrivée de 200 soldats centrafricains à Zongo, le 25 mars, qui a semé la pagaille. Ils se sont livrés à des tortures, des exactions diverses et des pillages, rapporte la Radio Okapi, financée par l’Onu. Et moins de la moitié a pu être désarmée par les Forces armées de la République démocratique du Congo.
L’autre victime collatérale de la chute de Bozizé et de la victoire des rebelles de la coalition Séléka est bien sûr l’Afrique du Sud, dont l’armée a essuyé sa première défaite importante de la période post-apartheid. Les accrochages avec les rebelles ont fait officiellement treize morts et vingt-sept blessés sud-africains, amenant le président Jacob Zuma à parler d’un « triste jour » pour l’Afrique du Sud. Nul n’est dupe. Même si le président sud-africain a annoncé le retrait de ses troupes de Centrafrique lors du sommet régional de N’Djamena du 3 avril sur la Centrafrique, auquel il s’est invité, cela faisait plusieurs jours que les soldats de l’armée sud-africaine (SANDF, South African National Defence Force) avaient commencé à quitter Bangui.
Mais la défaite est aussi politique. Elle consacre une perte d’influence de Pretoria dans le pays. Comme l’a rappelé Jacob Zuma, ses troupes étaient en Centrafrique dans le cadre d’un accord bilatéral remontant à 2007, initialement pour former l’armée centrafricaine. Mais après la première offensive de Séléka en décembre, quelque 320 hommes de la SANDF avaient été envoyés en renfort. En pure perte en définitive. En raison du refus des soldats de Bozizé de combattre les rebelles, ainsi que des militaires français et des autres pays d’Afrique centrale en mission de maintien de la paix, la SANDF s’est retrouvée pratiquement seule face aux rebelles.
Pretoria avait à divers degrés un intérêt bien compris au maintien au pouvoir de Bozizé (voir encadré), mais, dans cette affaire, Jacob Zuma semble avoir négligé la donne régionale et francophone. Erreur fatale. Les quelque 500 militaires français de l’opération « Boali » se sont contentés d’appliquer à la lettre leur mission, qui était de protéger l’ambassade et les 1 200 ressortissants français, conformément à l’intention exprimée urbi et orbi en décembre 2012 par le président François Hollande. Paris n’allait pas défendre le régime en place. Par ailleurs, la France précise que l’Afrique du Sud n’a pas cherché son aide.
Une même passivité, confinant à la complicité, émane des principaux acteurs régionaux africains. Alors que l’armée tchadienne a démontré au Mali, dans des conditions très âpres, ses qualités militaires, la Force multinationale d’Afrique centrale (Fomac) forte de 760 hommes, essentiellement composée de Tchadiens, a elle aussi brillé par son absence en s’abstenant de faire obstacle à la progression de la Séléka. Tout se passe comme si les parrains régionaux, Idriss Déby (Tchad) en tête, mais aussi Paul Biya (Cameroun), Ali Bongo (Gabon) et Denis Sassou Nguesso (République du Congo), avaient saisi l’occasion pour sanctionner Bozizé, qui s’était engagé au départ des troupes sud-africaines lors des négociations de paix, voyant d’un mauvais œil ce nouvel acteur dans leur pré carré.
Idriss Déby était déçu par Bozizé, à qui il reprochait de manquer à sa parole. Plusieurs accords commerciaux et militaires bilatéraux, dont la création d’une force militaire mixte pour contrôler la frontière entre les deux pays, n’ont jamais vu le jour. Bozizé aurait eu également le tort de manquer d’enthousiasme pour le projet de transfert par aqueduc des eaux de l’Oubangui pour renflouer le lac Tchad. Et certains affirment qu’il y a plus que des connivences entre Idriss Déby et Nourradine Adam, leader de la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), l’une des composantes de la Séléka. Mais l’analyste sud-africain Helmoed Heitman va plus loin. Dans un article publié par le Sunday Independent, il affirme que les rebelles centrafricains ont reçu un appui tchadien. Lors des combats à Bangui, écrit-il, on trouvait « des forces bien différentes des va-nu-pieds décrits initialement : la plupart portaient un uniforme standard avec sangle et gilets pare-balles, des AK47 tout neufs et des armes lourdes allant jusqu’au canon 23 mm ».
En définitive, l’Afrique du Sud pourrait avoir perdu la Centrafrique. Un responsable du Séléka, déclare : « Les accords de Bozizé avec l’Afrique du Sud n’étaient pas dans l’intérêt du pays, mais du maintien au pouvoir de Bozizé. Ils ont perdu militairement. Ils doivent s’en aller et oublier. » Cependant, d’autres membres du nouveau gouvernement, plus pragmatiques, minimisent ce précédent, considérant que Pretoria peut continuer à être un partenaire économique appréciable.