Ce n’est pas parce que Timan Erdimi a déclaré qu’il reprenait les armes contre le président Idriss Déby Itno que celui-ci va se trouver déstabilisé. En exil à Doha (Qatar), le leader de l’Union des forces de résistance (UFR) qui est, avec son ancien allié Mahamat Nouri, l’une des principales figures de l’opposition politico-militaire tchadienne, semble en être réduit aux effets d’annonce. Même s’il affirme que de nombreux groupes sont en train de rejoindre son mouvement, qu’il a caché des armes et qu’elles sont prêtes à servir, il se heurte désormais à plus fort que lui. Car Idriss Déby est devenu non seulement un habile stratège sur le plan militaire, mais ses troupes ont atteint un excellent niveau. Sans compter que, sur le plan politique, il a le vent en poupe.
Soldats d’élite
En envoyant ses soldats d’élite combattre les djihadistes au Mali, il s’est donné une stature d’homme fort dans la sous-région. Il a en effet mis à la disposition des Français et de leur opération Serval une force de 2 400 hommes, soit le contingent africain le plus important. Ceux-ci agissent en dehors de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma, sous conduite africaine), car le Tchad n’est pas un pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ce qui leur donne une grande latitude pour décider de leurs interventions. Sous le commandement du propre fils du président, Mahamat Idriss Déby Itno, ils ont été notamment envoyés comme précurseurs dans l’Adrar des Ifoghas. À Tigharghâr, au cœur de ce désert rocheux où coule miraculeusement de l’eau, qui avait été choisi comme place forte par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), ils ont emporté une éclatante victoire, en dépit de sérieuses pertes humaines. Ils ont saisi des armes, des munitions et des vivres en grand nombre. Ils revendiquent également la mort d’Abou Zeid, l’un des principaux chefs d’Aqmi, ainsi que celle de Mokhtar Belmokhtar, bien que cette dernière n’ait pas été confirmée.
Désormais, leur base est installée à Kidal, principale ville de la région des Ifoghas. Mais la situation sécuritaire reste préoccupante. Quatre soldats ont encore été tués dans un attentat suicide, le 12 avril, sur un marché de la ville où ils étaient venus acheter des provisions, portant le total des victimes tchadiennes de la guerre au Mali à trente. Un lourd bilan, mais qui consacre l’excellence des forces tchadiennes en région désertique. À bon entendeur salut, pourrait dire le président Idriss Déby à ses opposants armés, qu’ils soient retranchés dans le Tibesti, haut lieu de la rébellion, ou à l’est du pays, à la frontière soudanaise qui court à travers les ergs et les rocs d’Abéché jusqu’en Libye, au nord. Autant de régions physiquement semblables aux Ifoghas, où les soldats tchadiens – dont bon nombre ont été formés par les Américains à ce type de terrains – ont excellé.
Ils devraient, pour la plupart, rentrer au pays. L’Assemblée nationale a voté, le 15 avril, l’adoption d’un programme de retour. Le premier ministre Joseph Djimrangar Dadnadji avait en effet déclaré que « l’objectif des troupes tchadiennes stationnées au Mali » était atteint. Reste la question touarègue, mais à ce propos, Dadnadji est resté ferme : « Nous n’avons pas fait un marché avec le MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad, ndlr] pour l’aider à avoir un État, a-t-il déclaré devant les Parlementaires, et le Tchad n’accepte pas qu’un groupe se lève un matin et demande un État. Ce sont des choses qui peuvent nous mettre en conflit avec le MNLA. » On ne saurait être plus clair : s’agissant de la situation intérieure du pays, les sécessionnistes de tout poil n’ont qu’à bien se tenir.
Politique extérieure trouble
Sur le plan de sa politique extérieure, le Tchad n’a pas toujours été clair. Avec son grand voisin de l’est, le Soudan, il a fallu des années pour que la relation se pacifie. Le Tchad soutenait les rebelles soudanais et, en représailles, le Soudan apportait de l’aide aux rebelles tchadiens. De nombreux accords comme celui de Tripoli, en 2006, qui prévoyait « l’interdiction d’utiliser le territoire de l’un pour des activités hostiles contre l’autre », sont restés lettre morte, et il a fallu attendre 2010 pour que le rapprochement entre Idriss Déby et Omar al-Bachir soit effectif. Le premier avait en effet une (ré)élection présidentielle en vue, et le second fort à faire avec la sécession du Sud du Soudan.
Même chose avec la Centrafrique : le Tchad a fortement épaulé François Bozizé pour le coup d’État qui a renversé feu le président Ange-Félix Patassé en 2004. Déby en voulait depuis longtemps à ce dernier non seulement pour avoir hébergé feu Moïse Kette, un fameux rebelle, mais aussi parce qu’il s’était débrouillé pour écarter durablement un projet de drainage des eaux du fleuve Oubangui vers le lac Tchad, lequel donne de dangereux signes d’assèchement. L’accord de formation militaire tchado-centrafricain n’a pas permis de rétablir la confiance. Grâce, entre autres, à N’Djamena, François Bozizé prend donc le pouvoir à Bangui en 2004. Les forces de sécurité centrafricaines ont dès lors été placées sous la gouverne d’éléments tchadiens. Mais d’incurie en petites trahisons, de laisser-aller en insouciance, les relations entre les deux hommes se sont détériorées. La spirale est lancée : les rébellions centrafricaines sont alimentées, peu ou prou, par le Tchad. Jusqu’à celle de 2012 : il est de notoriété publique que nombre de chefs de la Séléka, la coalition rebelle qui s’est saisie du pouvoir à Bangui en janvier dernier, avaient quartier libre à N’Djamena.
L’attitude conciliatrice d’Idriss Déby face à la crise centrafricaine n’est certainement pas sans rapport et avec son engagement au Mali – il est difficile d’être présent sur tous les fronts – et avec la réhabilitation à la fois sous-régionale et sur le plan intérieur qu’il appelle de ses vœux. Hôte du sommet de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) sur la Centrafrique le 3 avril 2013, il a fait preuve de beaucoup de réflexion et de modération. En compagnie de ses homologues congolais Denis Sassou Nguesso, Joseph Kabila, Ali Bongo, Teodoro Obiang Nguema, Thomas Boni Yayi et Jacob Zuma, il a été convenu d’un certain nombre de mesures conservatoires, entérinées par le sommet suivant, le 18 avril.
Bénéfices internes et externes
Quel bénéfice peut retirer Idriss Déby de sa nouvelle posture ? Sur le plan intérieur, il s’assure de sa propre sécurité en démontrant sa force. C’est une pierre dans le jardin de ses opposants. Il rassure, dans le même temps, sa population. La croissance du pays, de l’ordre de 7 % en 2012 grâce notamment au pétrole, a permis la construction de nombre d’infrastructures et tend à l’amélioration du niveau de vie des Tchadiens. Mais beaucoup reste à faire et, après vingt-deux ans d’un pouvoir sans partage, il est opportun de se poser en « père de la nation » vigilant et attentif, remerciant à titre posthume les héros de la guerre.
Sur le plan sous-régional, Déby s’implique dans les institutions, ce qui lui donne une meilleure visibilité. La disparition du Guide libyen Mouammar Kadhafi avait laissé en l’état l’organe qu’il avait créé, la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad). Lors d’une réunion à N’Djamena en février 2013, Idriss Déby a permis la renaissance de cet organisme autour d’un nouveau texte fondateur, qui donne à cet ensemble une orientation davantage tournée vers le développement. Enfin, il marque un bon point vis-à-vis des Nations unies en proposant ses soldats dans le cadre d’une éventuelle mission de stabilisation au Mali. S’insérant ainsi dans un cercle vertueux, Idriss Déby pense pouvoir mieux échapper aux critiques qui ne manqueront pas de persister vis-à-vis de sa politique autocratique. En effet, s’il n’a pas d’opposition intérieure, ce n’est pas parce qu’il n’existe aucune élite politique, mais parce qu’aucune personnalité de poids n’a jamais pu faire librement entendre sa voix. Et malheureusement, il y a peu de chance que les choses changent. Car l’homme fort de N’Djamena n’en finit plus de jouer de ses muscles.