Un espoir semblait pointer dans l’Est après la signature, le 24 février à Addis-Abeba, d’un « accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération » en République démocratique du Congo (RDC). Les neuf États membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (Angola, Burundi, Centrafrique, Congo-Brazzaville, RDC, Rwanda, Soudan du Sud, Tanzanie et Zambie) ainsi que l’Afrique du Sud et le Mozambique ont paraphé le texte. Il recommande à la RDC d’approfondir la réforme du secteur de la sécurité, de consolider l’autorité de l’État, y compris en empêchant les groupes armés de déstabiliser les pays voisins, et d’effectuer des progrès dans le domaine de la décentralisation. En termes à peine voilés, Kinshasa est priée de mettre un terme aux activités des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) et des rébellions ougandaises sur son territoire. L’accord impose enfin au président Joseph Kabila de mettre en place d’un mécanisme pour superviser la mise en œuvre de ces engagements.
Même s’ils ne sont pas cités, le Rwanda et l’Ouganda sont instamment priés de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures de leur voisin congolais, de ne pas soutenir de groupes armés et de respecter son intégrité territoriale. Il leur demande également de ne pas héberger ou fournir de protection aux personnes accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Claire invitation adressée à Kigali et à Kampala de livrer à la Cour pénale internationale (CPI), le général Bosco Ntaganda, poursuivi pour les atrocités commises en Ituri en 2003.
En définitive, un optimisme prudent s’est dégagé de la réunion, à laquelle assistaient le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, et la présidente de la Commission de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini Zuma. Prudence d’autant plus compréhensible que depuis deux décennies aucun effort de paix n’a pu restaurer le calme à l’est de la RDC. L’aspect le plus concret de l’accord est sans doute un appel à une « révision stratégique » de la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Congo (Monusco), dont les quelque 18 000 Casques bleus ont pour l’instant échoué à ramener la paix au Kivu. Même si le texte ne le mentionne pas explicitement, il s’agit d’adjoindre à la Monusco une « brigade d’intervention » africaine de quelque 2 500 hommes, chargée non de maintenir mais d’imposer la paix, a expliqué le président sud-africain Jacob Zuma à l’issue de la réunion. Pour l’instant, seules la Tanzanie et l’Afrique du Sud se sont portées candidates. Cette formule permettrait de résoudre l’équation du financement de la brigade africaine. Mais aucune date précise n’a encore été annoncée pour son déploiement déclaré « imminent » depuis… décembre 2012.
Pendant ce temps, l’équation se complique sur le terrain avec l’éclatement des divisions entre les rebelles du M23, soutenus par Kigali et par Kampala. Elles ont débouché début mars sur des affrontements armés entre l’aile militaire du colonel Sultani Makenga, et l’aile du colonel Baudouin Ngaruye, allié du chef politique du mouvement, le « bishop » Jean-Marie Runiga, tous deux proches du général en fuite Bosco Ntaganda.
Selon la Monusco, les deux factions se sont affrontées à l’arme lourde et légère dans le fief du M23 à Rutshuru, la nuit du 23 au 24 février, faisant dix morts. Cette rivalité serait la conséquence de l’opposition entre le général tutsi Laurent Nkundabatware (dit Laurent Nkunda) et fondateur du mouvement précurseur du M23, le Conseil national pour la défense des peuples (CNDP), et la faction de Runiga et Ntaganda. Nkunda est aujourd’hui en résidence surveillée à Kigali, mais est représenté en RDC par Makenga. Les divisions au sein de la rébellion correspondent à deux lignes distinctes : Makenga, qui serait soutenu par Kigali, estime que les pourparlers en cours à Kampala doivent déboucher sur la mise en œuvre de l’accord de paix du 23 mars 2009 entre le gouvernement congolais et le CNDP. Celui-ci prévoit notamment l’insertion des combattants de la rébellion dans l’armée et des conditions propices au retour au Kivu des réfugiés tutsis congolais ayant cherché asile au Rwanda. En revanche Runiga, destitué par Makenga le 27 février, avance des objectifs nationaux, comme le partage du pouvoir à Kinshasa que les autorités congolaises rejettent catégoriquement.
Ces divisions n’ont pas empêché, le 2 mars, des éléments de l’aile Makenga de reprendre les villes de Rutshuru et de Kiwandja, évacuées sans combattre par l’armée congolaise. En définitive, le 16 mars, le chef politique du M23 et quelque 300 combattants ont fui au Rwanda où ils ont été désarmés et arrêtés, tandis que Bosco Ntaganda s’est livré le 18 mars à l’ambassade américaine à Kigali. La victoire de l’aile la plus réaliste est plutôt de bon augure pour Kinshasa. À peine la déroute de Runiga a-t-elle été consommée qu’on annonçait la reprise pour le 25 mars des pourparlers entre Kinshasa et Makenga à Kampala.
Simultanément, on assiste à une aggravation subite de l’insécurité au Katanga (voir encadré) et à la multiplication d’incidents au Kivu et au Maniema. Sur le lac Kivu, les pêcheurs sont de plus en plus la cible des rebelles. Au Maniema, l’armée congolaise a repris le 24 février la ville de Punia aux miliciens maï-maï Raïa Mutomboki qui cherchaient à établir un bastion dans cette zone aurifère. Ces combats ont provoqué l’exode de milliers de personnes vers le territoire voisin de Lubutu, en Province-Orientale, à 260 km au sud de Kisangani.