Sanctuaire du principal foyer mondial de la piraterie sur l’axe maritime allant de la Méditerranée à l’océan Indien, la Somalie intéresse stratégiquement l’Union européenne (UE), qui veut tout faire pour la stabiliser. Les 30 et 31 janvier, elle a déroulé le tapis rouge pour le président Hassan Sheikh Mohamoud et annoncé la préparation d’une conférence des bailleurs de fonds pour la reconstruction du pays, qui aura lieu en automne à Bruxelles. D’ici là, il faudra évaluer les besoins.
L’objectif de la conférence, explique la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton, est de créer les conditions d’une nouvelle donne, tant sur le plan de la sécurité que sur celui du développement. Manifestement Lady Ashton, qui a vanté les « progrès » accomplis par le gouvernement somalien et approuvé la Constitution provisoire, veut voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Malgré la récente attaque suicide contre le bureau de la présidence, elle a estimé que l’organisation rebelle islamiste Al-Shabaab avait été considérablement affaiblie.
D’ores et déjà, la Commission européenne a fait savoir qu’elle mettra sur la table 412 millions d’euros provenant du dixième Fonds européen de développement pour financer des actions dans l’éducation, la bonne gouvernance et la relance de l’économie. Fait nouveau, une partie de cet argent ira au gouvernement somalien. D’ici à l’automne, les instructeurs européens militaires commandés par le général irlandais Gerald Aherne continueront à former les éléments des Forces armées nationales somaliennes. À ce jour, 3 000 soldats ont suivi cette instruction. Quelques-uns ont déserté pour rejoindre les rebelles Shabaab, mais l’effort va s’accentuer. Les 125 instructeurs européens vont également former des cadres, commandants de bataillon et spécialistes du renseignement.
La formation se ferait à Mogadiscio même, dit-on au Conseil de l’UE. En outre, la coopération militaire va désormais inclure la présence de conseillers à la politique de sécurité auprès de l’État somalien, de l’armée et de la police. L’UE a accepté la requête de Hassan Sheikh Mohamoud d’une relocalisation dans la capitale du quartier général de la mission de formation des militaires somaliens, qui s’effectue toujours dans le camp de Bihanga, en Ouganda. Mais le président du Conseil de l’UE, Herman Van Rompuy, et Catherine Ashton ont prudemment ajouté que le déménagement aura lieu « dès que les conditions le permettront ». Parallèlement, l’opération anti-piraterie Atalanta menée par les marines de plusieurs pays de l’UE, la formation de garde-côtes somaliens et l’appui à la mission de l’Union africaine en Somalie seront poursuivis.
À Bruxelles, le président somalien a rendu hommage à l’action humanitaire de l’UE qui, a-t-il dit, a sauvé des millions de vies somaliennes. Mais il a exhorté les Européens à un niveau d’engagement supérieur. Il a souhaité que l’UE assume un rôle de leader pour la reconstruction de son pays, de coordinateur de ce qu’il a appelé « le plan Marshall » pour la Somalie. Le transfert de l’aide du Fonds européen de développement, qui a jusqu’à présent transité à travers les ONG et l’Onu, constituera un pas dans la consolidation du pouvoir du gouvernement. Mais avant que l’aide européenne n’aboutisse dans les caisses du nouvel État, Mogadiscio devra signer la convention de Cotonou, qui régit la coopération entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.
L’heure de la vérité du voyage de Hassan Sheikh Mohamoud a été son discours devant la Commission du développement du Parlement européen. Il a réclamé un meilleur traitement des quelque 700 prisonniers somaliens accusés d’activités pirates (dont 100 aux Seychelles), regrettant qu’ils n’aient pas accès à leurs familles. Il a été aussi interpellé par plusieurs eurodéputés, dont la socialiste portugaise Ana Gomes, à propos de la détention du journaliste Abidiaziz Abdinur Ibrahim, accusé d’avoir dénoncé un viol perpétré par des éléments des forces de sécurité. Affaire sensible. Car les formateurs européens risquent de former des individus ayant commis des violations des droits de l’homme.
Au-delà des enjeux sécuritaires, la consolidation de l’État somalien répond enfin, même si l’on est resté discret à cet égard à Bruxelles, à des intérêts bien compris. La normalisation des rapports permettra à terme à la flotte européenne de pêche de retourner au large des côtes somaliennes et aux compagnies pétrolières occidentales d’explorer l’offshore.