Il aura résisté jusqu’au bout. Défiant encore la communauté internationale engagée dans la médiation pour résoudre la crise politique, lors de la cérémonie des vœux du 9 janvier. Lui, Andry Rajoelina, qui avait pris le pouvoir en mars 2009 en renversant Marc Ravalomanana, le président élu. Depuis, Madagascar s’est enfoncé dans une grave crise politico-économico-institutionnelle. Bloqué par la soif de pouvoir d’un jeune putschiste devenu président de la Haute Autorité de transition (HAT), et la haine inextinguible que se vouent les deux hommes, incapables de s’entendre pour sortir le pays de l’abyme. La suspension de presque toutes les aides financières – Fonds monétaire international, Banque mondiale, Union européenne, États-Unis… – semblait ne rien y faire, cependant que la médiation de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) allait d’échec en rebuffade. Elle était toutefois parvenue à établir une Feuille de route planifiant la sortie de crise, avec des élections présidentielle et législatives prévues en 2013.
Rajoelina et Ravalomanana avaient aussitôt laissé comprendre qu’ils seraient candidats. Quand bien même le premier avait déclaré, un an et demi plutôt, qu’il ne se présenterait pas au prochain scrutin, tandis que le second, exilé en Afrique du Sud et condamné aux travaux à perpétuité par contumace pour « meurtre et complicité de meurtre », n’avait aucune chance de remettre les pieds au pays. Ce qui signifiait laisser en plan le président déchu, et maître à bord le putschiste… Une hypothèse impossible pour la médiation qui, du coup, a concocté deux autres scénarios : ou Rajoelina et Ravalomanana sont candidat au premier tour de la présidentielle, finalement fixé au 8 mai (le second tour et les législatives le 3 juillet), ou aucun des deux ne participera à l’élection.
La première solution, Rajoelina n’en a jamais voulu. Si l’article 20 de la Feuille de route stipule bien le retour des exilés politiques sans condition, « y compris Marc Ravalomanana », il n’en contient pas moins une annexe précisant que les exilés ne sont pas exonérés de leur crime, argue-t-il. En d’autres mots, si Ravalomanana s’avisait de rentrer, il serait aussitôt mis aux travaux forcés… La médiation a parlé de nécessité d’une amnistie, en vain. Quant à la seconde solution, les deux hommes ne l’envisageaient même pas. L’ex-président a pourtant été le premier à jeter – tactiquement – l’éponge le 11 décembre : comprenant qu’il était illusoire de compter sur une amnistie avant le bouclage de la liste électorale, le 15 avril, il a pris l’avantage en jouant les conciliateurs. Et fait apparaître son adversaire comme le seul frein à la sortie de crise. Acculé par l’énorme pression internationale et ce dernier coup qui a fait mouche, Rajoelina renonçait lui aussi, le 15 janvier, à se présenter, « pour l’amour de la patrie ».
Une annonce saluée par la communauté internationale, des Nations unies à la SADC, en passant par l’Union africaine, la Francophonie ou la France. Et qui n’a surpris qu’à moitié. Quelques heures plus tôt en effet, l’Union européenne débloquait près de 12 millions d’euros pour financer les élections. Le mois d’avant, le président de la HAT s’était rendu à Paris, qui l’a soutenu en catimini sous la présidence Sarkozy. « Vous êtes encore jeune, 38 ans ! Vous avez l’avenir devant vous. Passez votre tour et revenez en 2018 », lui a dit le nouveau ministre des Affaires étrangères. Un clin d’œil à sa propre carrière, puisque le socialiste Laurent Fabius fut premier ministre à cet âge en 1984, mais aussi des paroles interprétées à Madagascar comme une marque de paternalisme à l’égard d’un dirigeant encore immature…
Rajoelina a également fait plusieurs fois le voyage de Dar es-Salaam, en Tanzanie, pour y rencontrer les membres de la médiation. Comme toujours, il en est revenu très remonté, déclarant en décembre : « Non au colonialisme et à toute forme de diktat de la part des pays étrangers comme la Tanzanie ou des organisations comme la SADC ». Mais, quatre jours avant son discours à la nation, il donnait aussi une indication de ce que serait sa décision : « Nous souhaitons que le cas malgache n’engendre pas de déstabilisation, comme ce qui se passe en RDC, au Mali ou encore en Centrafrique. »
Forte de ce succès, la SADC a remis sur la table l’épineuse question de l’amnistie politique et demande que le Parlement de transition malgache adopte une loi dans ce sens. Non seulement pour Ravalomanana, des personnalités politiques et des hauts gradés, mais aussi Rajoelina – qui n’a pourtant fait l’objet d’aucune condamnation pénale. Ce faisant, la SADC risque de compliquer la situation tout en se décrédibilisant, puisqu’elle viole ses statuts qui ne lui donnent pas le « pouvoir de s’ingérer ou d’annuler quelque condamnation judiciaire » de ses États membres, comme elle le reconnaissait elle-même.
La communauté internationale s’était gobergée de parler d’une seule voix après le renoncement des deux hommes. Les démonstrations de puissance et les calculs des uns et des autres ont vite démenti ce bel enthousiasme. Dès son installation à Antananarivo le 23 janvier, le nouvel ambassadeur français, François Goldblatt, sans confirmer son soutien à Rajoelina, a exprimé l’hostilité persistance à l’égard de Ravalomanana : « Son retour n’est ni opportun ni utile avant les élections. » Une position aussitôt recadrée par Sandile Schalke, le chef du bureau de liaison de la SADC en partance, mais, surtout, par les États-Unis dont Ravalomanana a été toujours été l’homme. Quelques heures à peine après la déclaration de Goldblatt, le sous-secrétaire d’État américain pour l’Afrique, Johnnie Carson, adressait un courrier officiel à Rajoelina précisant : « J’ose espérer que tous les signataires vont désormais se conformer aux dispositions de la Feuille de route […], plus particulièrement celles relatives au retour sans condition des exilés politiques. Je suis confiant que vous allez honorer votre engagement et résister à ceux qui pourraient vous exhorter à vous présenter aux élections. » C’est que la Grande Île reste un enjeu géostratégique et désormais économique depuis qu’elle est devenue un pays minier suscitant de gigantesques investissements.
La proposition de la SADC d’amnistier Rajoelina par anticipation des crimes dont il pourrait être accusé – coup d’État, implication dans les affrontements meurtriers qui ont précédé – a été conçue comme du donnant-donnant, même si Rajoelina la rejette puisqu’il n’a rien à se reprocher légalement. Mais elle lui permet de reprendre la main sans s’inquiéter. Et dès le 18 janvier, à Toamasina, il faisait déjà campagne pour… 2018, lors d’une journée-marathon d’inaugurations sociales et d’annonces de travaux laissant croire à l’activisme débordant de la transition sans l’argent des partenaires internationaux…
Le jeune putschiste a par ailleurs beaucoup appris en politique politicienne : même s’il continue de faire peu de cas d’une élection (« l’important pour un homme d’État, ce n’est pas d’être élu, mais de réussir son mandat », a-t-il martelé dans une interview sur RFI le 16 janvier), il milite en faveur d’une inversion du calendrier électoral mettant les législatives avant la présidentielle. Cela lui permettrait peut-être d’être nommé premier ministre si son parti et ses alliés arrivaient en tête au Parlement. Si ce scénario à la Poutine semble irréaliste – tout le monde l’a refusé, même Goldblatt –, il montre néanmoins que Rajoelina n’entend nullement faire de la figuration pendant les cinq années à venir.
Lui et son rival devront faire preuve d’une fermeté sans pareille pour garder leur casquette de capitaine. L’Union des démocrates et des républicains pour le changement (UDR-M), la plateforme des partis qui soutiennent Rajoelina, est déjà en passe d’imploser devant les convoitises affichées des uns et des autres à la candidature. L’ex-président, de son côté, a dû taper du poing sur la table pour contrer ses tentations qui se font ouvertement jour : « Il n’y aura pas de candidat avant mon retour ! » Les intéressés se sont mis prudemment en retrait. Tant il est vrai qu’avoir la caution de ces deux têtes d’affiche, qui ont dominé la vie politique ces dernières années, paraît déterminante. Comment, sinon, sortir du lot de la trentaine de candidats que l’on annonce déjà, présentés par quelque 300 partis, coalisés ou pas ? Les plus déterminés ont quelques mois pour espérer faire la différence.