C’est en ordre dispersé que les diverses parties prenantes à la négociation se sont rendues à Libreville (Gabon), à l’invitation du médiateur du conflit centrafricain, le président congolais Denis Sassou Nguesso et de son homologue gabonais, Ali Bongo. Des tergiversations sans fin ont eu lieu sur le choix des partis politiques d’opposition qui allaient être représentés et il a fallu faire une « cote mal taillée » pour ne vexer personne. Par exemple, la Nouvelle alliance pour le progrès, le parti de Jean-Jacques Demafouth, n’était pas officiellement présent, une décision que ce dernier a acceptée car il participait lui-même à la négociation au nom de ses fonctions de responsable du programme de Désarmement –démobilisation-réintégration (DDR) géré par les Nations unies. Après discussions, c’est l’avocat Me Nicolas Tiangaye, qui a été choisi comme chef de la délégation d’opposition. Jean Willybiro-Sako, ministre de l’Enseignement supérieur, ancien président de la Commission électorale mixte indépendante, représentait le gouvernement. Ils étaient accompagnés par des membres de la société civile et par Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, ce qui a achevé de donner à la réunion un petit air de « conférence nationale ». La coalition rebelle, la Seleka, est emmenée par Michel Djotodia, toujours leader de l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), qui s’était rebellé en 2004 contre le pouvoir nouvellement saisi par François Bozizé. Ancien vice-consul de Centrafrique à Nyalla (sud Darfour), il est loin d’être un novice. Avant d’arriver à Bangui, il a fait un arrêt à Ndjaména (Tchad), ce qui en dit long sur les relations que peut entretenir la Seleka avec le puissant voisin de la Centrafrique.
Le chef de l’Etat François Bozizé n’a pas assisté aux premiers pourparlers, ce qui a eu pour effet de mécontenter les opposants, faisant un moment craindre un échec global. D’autant plus qu’il ne s’est pas privé de quelques déclarations tonitruantes à la presse : « Pourquoi déchiqueter la Constitution ? Détruire les institutions de la république ? C’est grave, dans un monde où nous défendons la démocratie. Seuls les hors-la-loi, les mercenaires-terroristes peuvent demander cela », a-t-il déclaré, avant d’accuser les opposants de collaboration avec lesdits terroristes. Cette démonstration de force et d’aisance était cependant liée à la présence, à Bangui, d’un contingent de soldats sud-africains envoyé pour sécuriser le pouvoir et par le soutien inattendu reçu de la part de Denis Sassou Nguesso. Sur le plan politique, il lui a cependant fallu faire des concessions : l’accord signé le 11 janvier prévoit, outre le cessez-le-feu, qu’il accepte la nomination d’un Premier ministre de consensus issu de l’opposition – Me Nicolas Tiangaye, finalement choisi le 18 janvier – irrévocable pendant douze mois, et qu’il s’engage à ne pas se représenter au terme de son actuel mandat, en 2016.
Dans le contexte africain actuel, il apparait que, pour diverses raisons, la plupart des chefs d’Etat d’Afrique centrale ont « lâché » François Bozizé. A commencer par le Tchadien Idriss Déby Itno, qui avait pourtant été depuis sa prise en pouvoir par la force à Bangui en 2004, son indéfectible soutien, lui fournissant garde rapprochée, armes, soldats, argent etc. Malgré cela, les Tchadiens n’ont jamais eu la vie facile à Bangui, les problèmes de transhumance aux frontières n’ont pas été résolus, etc. (voir l’article de François Misser). Pour l’anecdote, il faut savoir qu’Ali Bongo ne digère pas – entre autres – le désaveu que lui a infligé Bozizé lorsqu’il a soutenu Nkosazana Dlamini-Zuma pour le poste de présidente de la Commission de l’Union africaine, contre le candidat gabonais Jean Ping. L’occasion leur est donc donnée d’accompagner dignement ce « maillon faible » de leur dispositif vers la sortie, une sortie honorable, constitutionnelle et démocratique, qui permet surtout au Tchad de n’avoir pas un second front à entretenir alors que ses soldats et ses moyens militaires s’apprêtent à être engagés au Mali.