Le M23 s’est retiré de Goma, mais non de la scène politique et militaire de la région des Grands Lacs. La situation d’instabilité chronique qui prévaut dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) va donc pouvoir se poursuivre, consacrant tristement le Kivu en terrain d’entraînement des forces en présence dans la région et l’installant toujours davantage dans un rôle d’espace économique juteux où s’est organisée l’extraction illégale d’or, de coltan et de cassitérite. « On est dans un scénario à répétition, assure Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l’université de Liège, de Goma et de Bujumbura. Chaque fois que le gouvernement congolais tente de reprendre cette région en main, il y a une réaction violente. Le M23 s’est créé dans la foulée d’une décision du président congolais, Joseph Kabila, de muter les commandants locaux pour les envoyer dans d’autres régions de la RDC. Ils ont déserté et se sont constitués en rébellion, une rébellion qu’ils ont appelée le M23 pour faire référence aux accords de paix du 23 mars 2009 qu’ils estiment avoir été violés. » Rappelons à cet égard que ce traité de paix, qui a été conclu le 23 mars 2009 entre le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), mouvement de rébellion de Laurent Nkunda, arrêté deux mois plus tôt, et le gouvernement congolais prévoyait la libération des prisonniers, la transformation du CNDP en parti politique et l’intégration des forces du CNDP dans l’armée congolaise.
Une histoire de violences
Ce nouvel épisode marquant s’inscrit dans un cycle de violences récurrentes qui ensanglantent la région depuis près de vingt ans. Pour expliquer l’histoire de ces violences et de cette instabilité, on remonte en général à l’époque du génocide des Tutsi rwandais qui a eu lieu d’avril à juin 1994, a fait fuir des milliers de Hutu génocidaires en RDC, qui se sont constitués en milices et ont été ensuite poursuivis par différentes milices et armées, loin à l’intérieur de la République démocratique du Congo. Lors d’un colloque organisé par la Fondation pour la recherche stratégique et l’Institut français de recherche en Afrique, des chercheurs ont tenté de remonter plus loin dans le temps pour voir si les causes de cette instabilité ne sont pas plus profondes que celles que l’on évoque le plus souvent.
L’analyste politique Gérard Gérold ou Thierry Vircoulon, responsable de l’Afrique centrale pour International Crisis Group (ICG), estiment que si les frontières définitivement établies en 1910 n’ont jamais fait l’objet de contestations, la région a toujours été marquée par d’importants flux migratoires entre l’Est de la RDC et les pays voisins. Il en est ainsi de l’importation au Kivu d’une main-d’œuvre hutue de plus de 170 000 personnes durant la Seconde Guerre mondiale. De même, estiment-ils, le lien qui perdure aujourd’hui entre Rwandais et rwandophones de RDC montre que la question de la nationalité congolaise reste problématique.
Pour le chercheur italien Luca Jourdan, venu de l’université de Bologne, l’existence de milices dans la région n’est pas non plus un fait récent, lié aux seuls événements qui ont entouré le génocide au Rwanda. Le désœuvrement des jeunes, marginalisés par un système de redistribution bancale, a encouragé la formation de milices depuis l’indépendance. L’historien Benoît Verhaegen constatait dans les années 1960 que la révolte des Simba recrutait principalement des jeunes entre 12 et 20 ans, une classe d’âge que « l’indépendance ratée avait pénalisé, en la privant d’école et d’emploi ». Le chercheur italien souligne également l’échec de la réinsertion de ces jeunes qui ont ensuite donné naissance aux milices Bangilima et Kasindiens, d’où sont nées les milices maï-maï actuelles.
« Habitus mobutiste »
« Mais à la base de l’enrôlement des jeunes, il y a aussi un “habitus mobutiste”, poursuit Luca Jourdan, soit un comportement qui pousse les individus à agir sur la base de l’intérêt personnel et de la peur de la violence de l’autre. » Cette analyse rejoint celle du chercheur congolais Monga Ngonga Alphonse Maindo, de l’université de Kisangani, qui pointe du doigt la responsabilité du régime congolais dans la poursuite des violences au Kivu. Selon lui, le régime de Joseph Kabila n’a répondu à aucune des attentes de la population en matière de développement des infrastructures, du fonctionnement des administrations et, élément essentiel dans un pays en situation post conflictuelle, de l’armée et de la justice. Une incurie qui est d’autant plus mal acceptée que, depuis les élections de 2011, le régime a également perdu sa légitimité démocratique.
Mais, quelle que soit la profondeur des racines de la violence, la percée du M23 révèle, selon Thierry Vircoulon, l’échec des trois mécanismes de gestion de la crise. D’abord, celui de la Monusco (la mission de l’Onu pour la stabilisation en RDC) qui a démontré combien sa présence dans la région était inefficace, accentuant in fine le sentiment d’impuissance des populations locales et leur désir de recours à la violence. Ensuite, la faillite de la stratégie de la reconstruction qui a englouti 200 millions de dollars dans la région, sans autre changement visible que la réfection de quelques bâtiments administratifs. Enfin, l’impossible travail de la Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL), un forum des présidents de la région qui se révèle plus que jamais juge et partie.
C’est autour du rôle que joue le Rwanda que se cristallise cette ambivalence – une ambivalence qui divise observateurs et chancelleries occidentales. Dernier exemple : la récente résolution de l’Onu condamnant la prise de la ville de Goma par le M23. Le Conseil de sécurité s’est dit prêt à envisager de nouvelles sanctions contre les dirigeants du M23 et tous ceux qui soutiendraient les rebelles, mais la résolution ne cite pas le gouvernement rwandais, alors qu’un groupe d’experts de l’Onu a recommandé de mettre en œuvre des sanctions contre James Kabarebe, le ministre de la Défense rwandais.
Impunité
Mais si le Rwanda est sur la langue de bon nombre d’experts pour désigner ce pays comme un acteur majeur de l’instabilité dans la région, il n’est pas le seul pays visé. « Il est instructif de découvrir à quel point certaines biographies des leaders militaires de la région remontent à vingt ans, assure Thierry Vircoulon. En lisant le rapport des experts de l’Onu qui incrimine l’implication directe du Rwanda dans la crise du M23, on est surpris de tomber sur des noms comme le général Salem Saleh, un frère du président ougandais Yoweri Museveni ou le général Kahinda Otafiire, actuel ministre de la Justice de l’Ouganda. Tout le processus de reconstruction est miné à la base par le fait qu’aucun des acteurs de la violence n’a été puni. » Une impunité qui sape les bases de la reconstruction d’une société et plonge toujours plus profondément les populations congolaises dans le sentiment qu’elles sont et resteront des victimes de l’Histoire.